Résumé historique
Les régions antiques qui couvrent la Savoie actuelle ne
formaient pas une entité unique. Pour sa partie septentrionale
et occidentale, elles appartenaient à l’un des peuples gaulois
majeurs du Sud Est de la Gaule,
les Allobroges, tandis que la partie orientale de la Savoie
était le domaine des Ceutrons (la Tarentaise actuelle)
et des Médulles (la Maurienne actuelle). Leur
entrée dans la domination romaine commence à la fin du
IIe siècle avant notre ère.
La conquête (1) du territoire des Allobroges par les Romains se
fit en plusieurs étapes entre 121 et 61 avant J.-C., date
à partir de laquelle ce peuple accepta de se soumettre
définitivement à Rome et lui témoigna une
indéfectible fidélité.
L’organisation du territoire
Dans l’Antiquité, les habitants de la Savoie se
répartissaient en trois unités administratives distinctes
:
- la cité de Vienne qui regroupait les
Allobroges,
- la province des Alpes Graies/Atréctiennes,
terre des Ceutrons,
- la province des Alpes cottiennes, avec Suse
(Segusio) pour capitale.
Située en gros entre le Rhône, le Vercors, les massifs de
Belledonne et du Beaufortin, la cité de Vienne fut
organisée en deux étapes.
Entre 46 et 36 avant J.-C., elle reçut le statut de colonie
latine. Elle bénéficiait d’une certaine autonomie
administrative avec un conseil des décurions et un
collège de quatre membres chargés de dire le droit, les
IIII uiri iure dicundo. L’épigraphie de la Savoie atteste
l’existence de magistrats, de la première constitution de
Vienne, appelés à siéger au chef-lieu de la
cité. Caius Passerius Afer, dont le nom apparaît sur un
texte mutilé de Frangy, quattuoruir iure dicundo,
propriétaire terrien dans cette région de la Haute-Savoie
et le quattuorvir Sextus Decidius [---], à Saint-Alban-Leysse
appartiennent à cette époque.
Puis, vraisemblablement en 39-40 après J.-C.,
la cité fut élevée au rang de colonie romaine
honoraire. Ses habitants libres obtinrent alors le droit de cité
romaine. Le territoire fut non seulement administré par un
conseil des décurions, mais aussi par trois collèges
principaux de magistrats : les II uiri iure dicundo (duumvirs pour dire
le droit), les II uiri aerarii (duumvirs chargés du
trésor), et les III uiri locorum publicorum persequendorum
(triumvirs chargés de la surveillance et de l’entretien des
lieux publics). L’épigraphie de la Haute-Savoie a fourni quatre
duouiri iure dicundo, à Annecy, à Allinges, à
Passy (deux textes). À Passy et à Seyssel, sont
mentionnés, deux duouiri iure dicundo qui furent
également triumuiri locorum publicorum persequendorum. Si Aulus
Isugius Vaturus, Lucius Vibius Vestinus et Marcus Arrius Gemellus
doivent être considérés comme des visiteurs du
sanctuaire de Mars à Passy, on pense que les trois autres
personnages devaient résider sur place, sur leurs domaines, et
se rendre à Vienne pour y exercer périodiquement leur
fonction municipale.
Quatre duouiri iure dicundo doivent être
cités en Savoie, à Montmélian, à
Grésy-sur-Isère, à Albertville, peut-être
à Notre-Dame-des-Millières (texte perdu). - Deux duumuiri
aerarium, peut-être apparentés, doivent être encore
mentionnés à Fréterive. - Un quaestor n(ummorum)
p(ublicorum) apparaît à Passy, poste que l’on doit
rapprocher de celui de quaestor rei publicae.
Une inscription de Douvaine mentionne D(ecimus)
Iul(ius) Capito, probablement à identifier avec un personnage
homonyme attesté par trois inscriptions de Vienne et une de
Genève, qui parcourut une carrière mixte, municipale
à Vienne et équestre jusqu’à la procuratèle
ducénaire d’Asturie et Galice à la fin du règne de
Trajan.
Au lendemain de la " crise " qui frappa l’Empire au
IIIe siècle, la réorganisation administrative voulue par
Dioclétien (284-305) eut des répercussions dans la
cité de Vienne. Ainsi fut créée la province de
Viennoise et les deux agglomérations de Genève et de
Grenoble furent élevées au rang de cité de plein
exercice. Le territoire de la cité de Genève, par
exemple, engloba alors la plus grande partie de la Haute-Savoie, tandis
que la partie méridionale de la Savoie fut affectée
à la cité de Grenoble. À cette réforme, il
est possible de rattacher l’érection d’un certain nombre de
bornes milliaires sous la tétrarchie et à l’époque
constantinienne, dont les distances sont comptées depuis
Genève.
A l’intérieur de la cité de Vienne
existait une administration locale de districts, appelés pagi et
d’agglomérations secondaires, les uici. Le pagus,
héritier de la circonscription tribale gauloise,
répondait à une unité territoriale utilisée
par l’administration romaine pour effectuer les opérations du
cens et la perception de l’impôt.
On a conservé le souvenir de cinq pagi, trois
situés en Savoie (pagus Dia(nensis ou -nae), pagus Apollin(is ou
-ensis), pagus Vale(---)). Deux pagi sont signalés en
Isère (pagus Oct(---), pagus Atius ?). Ils avaient à leur
tête des préfets (praefecti) nommés par
l’administration municipale de Vienne.
Aux agglomérations secondaires doit
être réservé le terme de uicus. Ce sont le uicus
Albinensium, le uicus Se(---), celui d’Annecy, sur un texte
fragmentaire de Meythet qui mentionne des uicani Bo[utarum]), le uicus
Augustanorum, le uicus Cularonensis, le uicus Genauensium, le uicus
Rep(---) non localisé (près de Vienne).
Bien que riches en témoignages
archéologiques, des centres comme Seyssel (Condate) et Faverges
(Casuaria) ne sont que des étapes sur des itinéraires
routiers (Itinéraire d’Antonin, 347 ; Table de Peutinger, II,
1). D’autres petites agglomérations, Annemasse (Adnamatia),
Thonon (nom antique inconnu), Thyez dans la vallée de l’Arve ou
Rumilly, n’ont pas fourni d’indications épigraphiques sur leur
statut.
La partie orientale des départements de la
Savoie et de la Haute-Savoie relevait de deux structures
différentes.
Avant la conquête romaine, les Ceutrons
occupaient la vallée de l’Arly à l’est de la chaîne
des Aravis et le cours supérieur de l’Arve, la vallée du
Doron de Beaufort, la Tarentaise et les deux versants du col du
Petit-Saint-Bernard. Après une période de protectorat qui
leur assurait une certaine autonomie, Auguste annexa leur territoire
qu’il plaça sous contrôle militaire. Sous le règne
de Claude ou de Néron, les districts alpins furent
transformés en provinces impériales équestres et
le territoire des Ceutrons devint la province des Alpes Graies, avec
pour capitale Axima (Aime), devenue Forum Claudii Ceutronum). Les
habitants de la province reçurent le droit latin.
Au Ier siècle de notre ère,
l’épigraphie atteste que les relations entre les Allobroges et
les Ceutrons furent souvent conflictuelles. Pour cette raison, fut
entrepris une opération de bornage, attestée par des
bornes et par l’épigraphie, affectant les vallées et les
piémonts à la cité de Vienne, et aux Ceutrons la
montagne.
À l’extrême fin du Ier siècle ou
au début du IIe siècle, Les Alpes Graies
changèrent de nom, pour adopter celui d’Alpes
Atréctiennes. Peut-être au début du règne de
Septime Sévère, les deux provinces procuratoriennes des
Alpes Atréctiennes-Graies et des Alpes Poenines (Valais suisse),
furent regroupées en une seule entité administrative. Au
IVe siècle, Moutiers (Darantasia) se substitua à Aime
pour devenir la capitale des deux provinces unifiées et, au
siècle suivant, elle fut le siège d’un
évêché.
La Maurienne, habitée par les Médulles
et les Graiocèles, quant à elle, était au
début du Ier siècle avant J.-C. sous l’autorité de
Cottius Ier, fils de Donnus, roi de la région de Suse (Segusio)
et citoyen romain, qui contrôlait le col du Mont-Genèvre.
À la mort de Cottius II, sous le règne de Néron,
le royaume fut transformé en province procuratorienne, les Alpes
cottiennes, gouvernée par un chevalier et les habitants
reçurent le droit latin. Cette province conserva ses limites
jusqu’à la fin de l’Antiquité. Créé aux
environs de 574 par Gontran, roi de Bourgogne,
l’évêché de Maurienne, qui recouvrait pour
l’essentiel le territoire de la province, dépendait alors de
Turin. Mais du VIe au XIe siècle, son siège fut
installé à Saint-Jean-de-Maurienne.
Le réseau routier antique s’est
développé à partir d’itinéraires
protohistoriques qui reliaient les Allobroges à leurs voisins
et, à l’époque romaine, en raison du rayonnement de
Vienne, chef-lieu de la cité. À ces vieux
itinéraires, au moins celtiques, sinon antérieurs, qui
irriguent le territoire viennois, s’ajoutent les constructions
nouvelles ou les aménagements réalisés par les
Romains.
On distingue deux axes protohistoriques principaux :
- La voie qui reliait Vienne à Augusta Praetoria (Aoste) par
Bergusium (Bourgoin), Augustum (Aoste, Isère), la chaîne
de l’Épine, Lemincum (Chambéry), la combe de Savoie, la
Tarentaise et le col du Petit-Saint-Bernard.
- La voie qui, venant d’Aoste (Isère), gagnait Seyssel
(Haute-Savoie), remontait la rive gauche du Rhône, puis
empruntait la rive sud du Lac Léman pour rejoindre le Valais.
L’Empire, qui avait besoin d’axes de circulation
reliant commodément l’Italie à la Gaule, et par
delà les vallées alpines, l’Italie aux Germanies et au
limes rhéno-danubien, a favorisé la construction de voies
nouvelles ou la réfection de celles plus anciennes pour
faciliter la circulation des marchandises et des hommes
(commerçants, fonctionnaires, soldats).
On distingue la voie Vienne-Augusta Praetoria par
Augustum (Aoste), la vallée de l’Isère et le col du
Petit-Saint-Bernard. Son tracé entre Aoste et Chambéry
est incertain car on ne sait où situer la station de Labisco
(Les Échelles ou Lépin-le-Lac), donnée par la
Table de Peutinger et l’Itinéraire d Antonin. En revanche, de
Chambéry au col du Petit-Saint-Bernard son tracé est bien
attesté dans la combe de Savoie et la Tarentaise.
Une autre voie partait de Vienne pour rejoindre
Augusta Praetoria (Aoste) par Cularo (Grenoble), la vallée de
l’Isère, Montmélian, ad Publicanos, la vallée de
la Tarentaise et le col du Petit-Saint-Bernard.
Viennent ensuite les voies reliant Vienne aux
principaux centres de la cité. Ainsi la voie
Vienne-Genève emprunte le tracé par Augustum (Aoste),
puis se dirige vers le nord en suivant la rive gauche du Rhône.
Selon la Table de Peutinger, sont attestées les étapes
d’Etanna (Étain ou Yenne ?) et de Condate (Seyssel). De
là, elle rejoignait Quadruuium (Carouge) et Genève.
Des voies secondaires quadrillent tout
particulièrement l’est de la cité de Vienne et donc la
Savoie. On distingue
- la transversale Genève-ad Publicanos et le col du
Petit-Saint-Bernard par Annecy (Boutae) et Faverges (Casuaria),
stations attestées par l’Itinéraire d’Antonin.
- de la voie d’Aix-les-Bains (Aquae) à Seyssel (Condate) par
l’Albanais (uicus Albinnensium) et les gorges du Fier, où
subsistent des vestiges significatifs de la voie taillée dans le
rocher.
- la voie d’Annecy (Boutae) à Aix-les-Bains (Aquae) par Gruffy.
- la voie de l’Arve qui, depuis Genève, gagnait le Valais et le
col du Grand-Saint-Bernard. En raison des crues violentes du torrent
qui ont bouleversé ses rives depuis l’Antiquité, elle
empruntait certainement la rive droite jusqu’à Passy, puis
peut-être la rive gauche pour gagner la partie supérieure
de la vallée, le col des Montets, la vallée du Trient et
Martigny dans le Valais suisse, et, au-delà, le col du
Grand-Saint-Bernard.
- la voie au sud du lac Léman, avec une bretelle, construite
à l’époque de Dioclétien, empruntant la
vallée de la Dranse d’Abondance pour gagner le Pas-de-Morgins et
rejoindre Tarnaiae (Massongex) et Forum Claudii Valensium (Martigny).
Aucune activité économique
n’est bien spécifique à la Savoie dans
l’Antiquité. Bien que l’épigraphie soit fort avare de
renseignements sur la vie économique, l’archéologie,
depuis quelques années, apporte des informations
précieuses sur la mise en valeur de la région.
Pour ce qui est des ressources naturelles, il faut
noter que les montagnes de la Savoie sont peu riches en gisement
métalliques, excepté en Tarentaise, et en Haute-Savoie
(Passy). En revanche, des carrières de la Savoie est extrait un
matériau de construction, le calcaire, utilisé non
seulement dans cette région, mais également
acheminé vers Lyon ou vers Genève, par voie d’eau et par
voie terrestre (par ex., carrière de Franclens, au nord de
Seyssel, marbre de Villette en Tarentaise).
Au plan agricole, la production locale a
trouvé des débouchés à Genève,
Vienne et Lyon. Ainsi que l’indiquent des auteurs comme Pline l’Ancien
et Vitruve, la forêt a été exploitée pour
les essences utiles au chauffage et à la construction.
Dès le Ier siècle de notre ère, est
développée la culture de la vigne, illustrée par
le fameux cépage, évoqué par Pline, la uitis
allobrogica picata. Une inscription d’Aix-les-Bains, qui évoque
le don d’un bois sacré et d’un vignoble, confirme la
prééminence de cette culture (AE, 1934, 165).
Les restes archéologiques de meules et
d’outils viennent démontrer l’existence d’une culture
céréalière, le fameux " blé de trois mois "
connu dans toutes les Alpes (Pline, HN 18, 12) et les dépotoirs
antiques, avec la présence de noyaux de fruits,
révèlent la culture de nombreux arbres fruitiers. De
même, dans les alpages, est développée une
économie de montagne fondée sur l’élevage et la
production de fromage (Pline, HN 11, 97).
Grâce à l’archéologie, qui a mis
au jour de nombreux dépôts de scories (région du
Salève, Annecy, ateliers de production de fibules à
Faverges), sont attestés les métiers de la fonderies et
de la forge qui visaient l’autosuffisance.
Même si une partie du trafic se fait par le
Rhône, le développement du réseau routier est
responsable de l’accroissement du trafic.
- Sur le plan local, le commerce des matériaux de construction
accompagne celui des briques et des tuiles (production d’Arcine, de
Bredannaz, de Bellecombe en Tarentaise).
- Au plan des exportations, à côté des
matériaux de construction et du bois, par flottage sur le
Rhône, s’ajoutaient la vente du vin et de quelques produits
agricoles.
- En ce qui concerne les importations, il faut mentionner les marbres
précieux, provenant des régions voisines, voire de
Carrare en Italie, et des métaux en lingot (fer, cuivre).
La production de céramique et son commerce
reste la mieux connue. Ce sont les importations depuis le reste de la
Gaule, d’Italie (sigillées arétine, rutène et
arverne), d’Espagne (amphores contenant de l’huile ou des condiments),
voire d’Orient, redistribuées en particulier en Haute-Savoie
antique. Les productions locales sont illustrées par les
ateliers de Thonon (Ier siècle) et de Portout (fin IIIe-milieu
Ve siècle) et le rayonnement d’une céramique dite
allobroge.
L’épigraphie et l’archéologie sont les
seules sources susceptibles d’éclairer quelque peu
la vie religieuse dans la Savoie antique. En
effet, seules les inscriptions donnent une esquisse d’un
panthéon indigène, avec l’unique mention en Gaule
d’Athubodua, probablement une divinité des eaux, la mention du
dieu Vintius, dans la région de Seyssel, doté des
épithètes Auguste et Auguste Pollux, qui laissent
envisager une association du culte de l’empereur à ce culte
indigène. Vintius est identifié à son
équivalent romain Pollux.
Plus abondants en Savoie, les témoignages
épigraphiques révèlent en Tarentaise, le culte
d’Aximus, le dieu topique d’Aime, associé aux déesses
mères, les Matrones, qui a donné son nom à la
capitale des Ceutrons Axima (La Côte-d’Aime) et celui, plus
énigmatique, de Mantounos à Salins-les-Thermes. À
Châteauneuf, a été mis au jour un fanum
consacré à Limetus (nombreux graffitis). De même,
la relecture d’une inscription de Grésy-sur-Isère a
permis de révéler le nom d’Elausia, peut-être la
divinité topique du uicus.
D’autres divinités, mieux connues en Gaule,
sont attestées en Savoie, tel Borvo ou Bormo, le dieu gaulois
des eaux (Aix-les-Bains). D’origine celtique sont encore les
déesses-mères qui assuraient la fertilité et la
fécondité. Nommées Matrae chez les Allobroges,
à Brison-Saint-Innocent, à Allondaz, elles sont
appellées Matronae chez les Ceutrons, à Aime et à
Moûtiers (Matronae Saluennae). Cette dernière
dénomination est la plus courante dans les Alpes. Les
figurations iconographiques de ces divinités sont plutôt
rares et la répartition des découvertes est très
inégale selon les départements savoyards (statuette en
bronze de Sucellus, à Viuz-la-Chiésaz, un autel
anépigraphe, à Annecy figurant un maillet stylisé,
attribut régulier de Sucullus). A Lugrin, a été
mis au jour un bas-relief représentant un dieu
tricéphale, dont l’identification reste incertaine.
Plus riche apparaît le panthéon
gallo-romain, illustré par l’observation de César, qui
fait de Mercure et de Mars les divinités les plus populaires de
la Gaule et en particulier en Savoie (Bell. Gall., 6, 17).
Divinité omnipotente, Mercure est le grand dieu viennois que
l’épigraphie et l’archéologie confirme pleinement tant en
Savoie (Châteauneuf, Bourget-du-Lac, etc...) qu’en Haute-Savoie
(Annecy, Saint-Félix, Groisy et Villaz où il est
associé à sa parèdre Maïa). De nombreuses
statuettes du dieu, de facture peu élaborée, ont
été retrouvées.
Quinze occurrences épigraphique du dieu Mars
sont attestées en Savoie. En Haute-Savoie, mentionné
seul, à Annemasse, à Annecy, à Thyez, à
Ville-La-Grand, il est associé une fois à Jupiter,
à Douvaine. Dans le département de la Savoie, cinq
inscriptions (au Pont-de-Beauvoisin, à Ruffieux, peut-être
à la Chapelle-du Mont-du-Chat, à Brison-Saint-Innocent,
à Saint-Alban-Leysse) font état d’un culte à cette
divinité. Dieu protecteur de la cité de Vienne, mais
surtout des simples particuliers, il est le seul dans la cité de
Vienne à faire l’objet d’un culte municipal officiel (flaminat
de Mars) réservé à de hauts personnages,
généralement des magistrats municipaux. Une inscription
de Passy mentionne Marcus Arrius Gemellus, magistrat de Vienne (duumuir
aerari) et flamine de Mars. En déclin à partir de la fin
du Ier siècle, ce culte disparaît dans le courant du IIIe
siècle en cédant la place à Mercure (Fr.
Bertrandy, RAN 33, 2000, p.125-148).
Troisième divinité importante, Jupiter
Optimus Maximus est mentionné à Annecy-Le-Vieux, à
Chavanod, à Gruffy. Dans ces trois cas, ce Jupiter est
probablement plus un Jupiter gallo-romain que le dieu du Capitole
à Rome. Il apparaît associé à Mars, à
Douvaine, à Junon et à Minerve à Aime, à
Aix-les-Bains, à Belmont-Tramonet, aux Échelles, à
Saint-Pierre-d’Albigny.
Honorés essentiellement par les autochtones,
ces dieux doivent être considérés comme des
divinités gallo-romaines, tout comme Apollon qui apparaît
plutôt comme un dieu guérisseur auquel est ajoutée
l’epiclèse Virotutis, à Annecy et à Groisy
où encore à Gilly, Grésy-sur-Isère, La
Rochette et à Ruffieux. Castor et Pollux sont attestés
ensemble à Annecy, Castor auguste, seul, à Duingt. A
Seyssel, plus significative encore sont les dédicaces offertes
à Pollux, associé à Vintius le dieu
indigène local.
Les nombreuses statuettes en bronze de ces
divinités, auxquelles il faut joindre Hercule, mises au jour en
Savoie et en Haute-Savoie, illustrent leur popularité et surtout
la piété simple des populations.
Attestés par l’archéologie et par
l’épigraphie, quelques sanctuaires peuvent être
signalés : celui de Faverges, dégagé en partie
entre 1988 et 1993, comprenant une cour, un fanum, de nombreuses
constructions, mais dont on ne sait à qui il était
voué ; celui de Passy, consacré à Mars,
fréquenté par les magistrats de la cité de Vienne
qui y ont laissé des dédicaces; celui d’Annecy que vient
de révéler une inscription ; celui du col du Chat,
affecté à Mercure et Mars ; celui de Châteauneuf,
révélé par les fouilles entre 1978 et 1986,
consacré à Limetus-Mercure ; celui de Jupiter au col du
Petit-Saint-Bernard ; ceux de Vintius-Pollux dans la région de
Seyssel (Vens et Hauteville).
Peu nombreux sont les témoignages se
rapportant au cuite des divinités orientales en Savoie. Il faut
signaler l’autel métroaque anépigraphe de Conjux, une
inscription de Moûtiers associant la Mère des dieux aux
puissances divines des Augustes et aux Matronae Saluennae. Mithra
était peut-être honoré à Lucey. Enfin un
très beau buste en argent de Jupiter Dolichenus, mis au jour au
col du Petit-Saint-Bernard, est conservé au musée
d’Aoste.
Vers 450, le premier évêque de
Tarentaise s’installe à Moûtiers tandis que la
première église attestée en Haute-Savoie, à
Annemasse, est consacrée, en 516.
Expression du loyalisme des habitants de l’Empire
romain au souverain, garant de la victoire et donc de la paix qui
engendre la prospérité, le culte impérial
introduit au début de l’Empire en Narbonnaise, à
trouvé une grande audience en Savoie, chez les Allobroges comme
chez les Ceutrons.
En Haute-Savoie, les inscriptions ne mentionnent
jamais le nom du souverain à qui on s’adresse, mais plutôt
son numen, c’est-à-dire la " puissance divine " qui se
dégage de sa personne, à Alex, à Annecy-le-Vieux,
à Meythet, et en Savoie aussi à Aime, à
Moûtiers, à Ruffieux, associé à Apollon.
Dans le département de la Savoie, les
inscriptions s’adressent nommément à l’empereur, Auguste
à Aime, Caligula à Saint-Jean-de-la-Porte, Nerva,
Élagabal ou Sévère Alexandre, Carus et ses fils
à Aime. D’autres textes ont été gravés pour
la sauvegarde (Pro salute) de l’empereur Claude (?) et de Vespasien (?)
à Aime, de Trajan à Albens, de Commode à
Gilly-sur-Isère, sans oublier les graffiti en faveur de
Néron et à la déesse Rome à
Châteauneuf.
Deux inscriptions mentionnent une flaminique de la
province de Narbonnaise, à Sales (Haute-Savoie) et une
flaminique impériale de la cité de Vienne. Trois seuiri
Augustales sont enfin attestés en Savoie.
Symbole d’une croyance de la survie de l’âme
dans l’au-delà, le culte des dieux Mânes, ainsi que
l’attestent les épitaphes, a été introduit
dès la seconde moitié du Ier siècle en Gaule. Mais
à partir de la seconde moitié du IIe siècle, aux
dieux Mânes, est adjointe la mention à la mémoire
éternelle (memoria ou quies aeterna) qui précise
davantage la croyance à une autre vie dans l’au-delà.
Retour
DU ROYAUME BURGONDE A CELUI DE BOURGOGNE
Les terres savoyardes de 443 à 1032
Dans l’histoire de la vallée rhodanienne, l’installation en 443
des Burgondes en Sapaudia constitua une césure majeure, dont
l’ampleur ne saurait être sous-estimée :
1) Elle posa tout d’abord les fondements d’un
nouvel ordre domanial, qui permit à une nouvelle aristocratie,
issue de la fusion des chefs de guerre burgondes et des latifundiaires
romains, de s’approprier les prélèvements fiscaux que le
pouvoir impérial avait imposés à une paysannerie
en voir d’asservissement. En ce sens, l’arrivée des Burgondes
scella le destin de l’ordre public antique au profit d’une nouvelle
organisation sociale, fondée sur la prépondérance
d’une aristocratie de sang.
2) Elle donna ensuite naissance à un
particularisme régional suffisamment affirmé pour que
l’identité bourguignonne puisse survivre à la
conquête mérovingienne puis à la politique
carolingienne de centralisation, avant de se prolonger dans les
royaumes bosonide puis rodolphien. Dès le VIe siècle, les
terres des Burgondes furent désignées par le terme de
Burgundia (en français Bourgogne), pour désigner un
espace qui s’étirait le long de l’axe Saône-Rhône,
des marches provençales à l’Orléanais franc.
A l’intérieur de cet espace bourguignon, les terres des actuels
département de Savoie et de Haute-Savoie ne constituaient qu’un
espace marginal et hétérogène, qui
n’apparaît guère dans la documentation qu’en raison de
l’importance stratégique des routes des cols du
Grand-Saint-Bernard et, dans une moindre mesure, du Mont-Cenis et du
Petit-Saint-Bernard:
1) Encore faiblement humanisées, les terres
de l’actuelle région savoyarde ne disposaient d’aucun centre
ecclésiastique ou urbain de quelque importance, puisque les
jeunes cités épiscopales de Belley,
Saint-Jean-de-Maurienne et de Moûtiers n’étaient alors que
de très modestes bourgs. Comme aucun monastère
bénédictin ne s’était installé dans ces
espaces marginaux, les actuels départements de Savoie et de
Haute-Savoie ne disposaient d’aucun véritable centre de
production écrite, ce qui explique que leur histoire au haut
Moyen Age demeure des plus obscures.
2) En l’absence d’un véritable centre
épiscopal ou monastique de quelque envergure, les futures terres
savoyardes ne disposaient d’aucune unité, puisqu’elles
subissaient les attractions concurrentes des cités de
Genève, Lyon, Vienne, Grenoble et Suse. En ce sens, leur
histoire ne peut donc s’inscrire que dans le cadre d’un espace
élargi qui, du Viennois au Valais et de Genève à
Grenoble, correspondait en fait au centre domanial de la monarchie
bourguignonne.
I) Le socle Burgonde (milieu
Ve - début VIe siècle)
1. Une armée, pas
une ethnie
A en juger par leurs sépultures, qui nous ont
fourni la quasi-totalité du matériel archéologique
disponible, les Burgondes de Sapaudia ne constituaient qu'une modeste
armée de combattants hétérogènes, sans
réelle unité culturelle et encore moins ethnique :
1) Les difficultés que les
archéologues éprouvent à distinguer les tombes des
Burgondes de celles des populations locales semblent montrer que les
nouveaux venus étaient déjà très
romanisés à leur arrivée en Sapaudia. Sans doute
est-ce pour cette raison que les Burgondes se mélangèrent
très vite aux populations locales, à tel point que les
archéologues ne parviennent plus à distinguer les deux
populations dans les sépultures du VIe siècle.
2) Les Burgondes semblent n'avoir
possédé aucune civilisation originale, si l'on en juge du
moins par l'absence dans leurs sépultures de tout objet
d'artisanat particulier, qui serait susceptible de nous permettre
d'identifier une culture autonome. La diversité de leur
matériel funéraire, qui provenait tout aussi bien du fond
commun du monde germanique que de l'artisanat gallo-romain,
relève d'une population bigarrée, qui avait
emprunté à des foyers culturels les plus divers.
3) La présence de tombes à inhumation
en couple, la pratique parfois attestée de la déformation
crânienne, ainsi que la présence de caractères
vraisemblablement mongoloïdes dans la dentition des squelettes
burgondes, constituent un ensemble de témoignages convergents
qui atteste de la forte présence de populations d'origine
hunnique au sein de l'armée burgonde.
Confirmant ces données archéologiques,
les sources écrites tendent aussi à nous montrer que les
Burgondes n'avaient d'autre unité que celle que leur avait
donnée Rome, en rassemblant des combattants venus de tous
horizons dans un même statut de fédérés,
c'est-à-dire d'alliés cantonnés par l'empire
romain sur ses frontières :
1) En 411, à l'initiative de l'empereur
Justin, un premier royaume burgonde, jadis appelé " de Worms ",
fut établi sur la rive gauche afin de sécuriser une
frontière que les invasions de 406 avaient mis à mal. Il
est douteux que les " Burgondes " ainsi installés aient eu une
quelconque unité ethnique.
2) En 435, les Burgondes se
révoltèrent et allèrent piller la Belgique
première. Deux ans, plus tard, le patrice Aetius, fort de ses
contingents hunniques, alla châtier les révoltés,
dont il massacra un très grand nombre. L'épisode marqua
suffisamment les mémoires collectives pour donner naissance
à une tradition épique, qui fut mise par écrit
vers 1200, sous la plume d'un poète inconnu de la région
du Danube autrichien, dans le fameux " chant des Niebelugen ".
3) En 443, Aetius accorda son pardon aux survivants,
désormais hors d'état de nuire, et les installa en 443 en
Sapaudia, afin d'assurer la sécurité des routes alpines
qui menaient à Rome et de contenir la poussée des
Alamans. La localisation précise de cette Sapaudia a fait couler
beaucoup d'encre : en dernier lieu, Justin Favrod a soutenu avec des
arguments des plus solides que la Sapaudia n'aurait regroupé que
le seul diocèse de Genève, qui aurait toutefois alors
compris les territoires des cités de Nyon et d'Avenches.
2. Les Burgondes et
l'aristocratie gallo-romaine
L'arrivée des Burgondes et la politique de
cantonnement de troupes barbares, que menait le patrice Aetius, suscita
quelques oppositions au sein de l'aristocratie romaine :
1) Sous la direction de l'évêque
Célidoine de Besançon, l'aristocratie de la
Séquanie manifesta une certaine hostilité aux nouveaux
venus.
2) Cette attitude fut toutefois très
minoritaire, car la grande majorité de l'aristocratie romaine se
montra très favorable à l'installation des Burgondes,
comme le montre l'empressement de nombreux évêques
rhodaniens' dont une grande partie était issue du
monastère de Lérins' à demander au pape romain de
déposer l'évêque Célidoine de
Besançon.
La véhémence avec lesquels les
évêques, qui étaient tous issus des meilleurs
familles de l'aristocratie romaine, s'attachèrent à
réduire toute opposition à l'installation des Burgondes,
montre bien que, dans leur grande majorité, les latifundiaires
romains firent un très bon accueil aux
fédérés :
1) A l'image de Sidoine Apollinaire, qui se
lamentait à l'idée d'entendre " les chansons du Burgonde
gavé qui s’enduit les cheveux de beurre rance ", l'aristocratie
romaine, imbue de la culture rhétorique qui faisait le fonds
commun de l'éducation tardo-antique, n'éprouvait qu'un
mépris profond pour les barbares.
2) Pour autant, alors qu'elle était en train
de rassembler d'immenses domaines fonciers, l'aristocratie romaine
avait impérativement besoin d'une protection militaire pour
faire face à la menace d'une éventuelle invasion
alémanique, mais aussi de l'insurrection sociale
endémique, qui trouvait son expression dans le mouvement des
bagaudes.
3) N'ayant guère confiance dans les
contingents venus d'Italie, l'aristocratie gallo-romaine, qui ne voyait
plus dans l'Etat impérial qu'un obstacle au développement
de son hégémonie sociale, ne pouvait qu'être
favorable au cantonnement régional d'une armée burgonde.
Très méfiante envers la Cour de Ravenne, l'aristocratie
gallo-romaine, qui aspirait à s'émanciper de la tutelle
impériale, espérait en fait que les Burgondes lui
apporterait une protection efficace qu'elle parviendrait à
contrôler.
Disposant du soutien de l'aristocratie romaine, les
Burgondes quittèrent bien vite la modeste Sapaudia pour se
tailler un véritable royaume :
1) Pour l'essentiel, ce processus se déroula
au cours du troisième quart du Ve siècle, lorsque les
Burgondes parvinrent à donner naissance à un puissant
royaume, qui s'étendait de Chalon et Autun à Viviers et
Avignon.
2) Au jugement certes tardif du
pseudo-Frédégaire, il semble que l'oligarchie romaine ait
joué un rôle déterminant dans cette expansion,
puisque cet historien du VIIe siècle affirme que " les Burgondes
furent invités par l'intermédiaire d'ambassadeurs par les
Romains ou les Gaulois qui vivaient dans la province de Lyonnaise, en
Gaule chevelue, en Gaule conquise et en Gaule Cisalpine afin que
ceux-ci puissent renoncer à verser les impôts à
l'Etat et là, on vit les Burgondes s'installer avec femmes et
enfants ".
L'aristocratie romaine était d'autant plus
disposait à faire appel aux Burgondes, que leur
établissement ne leur coûtait rien :
1) Comme l'ont démontré les recherches
récentes, le droit " d'hospitalité " que les
propriétaires romains devaient payer à la soldatesque
burgonde ne consistait en fait qu'en la remise d'une part des
impôts impériaux, dont le prélèvement
était assuré par l'oligarchie locale. Depuis les
réformes de Constantin, les latifundiaires romains avaient
été contraints à lever directement l'impôt
foncier sur leurs paysans, avant d'en restituer un tiers à
l'armée, un tiers à l'empereur et un tiers aux
autorités locales. En se plaçant sous la protection des
Burgondes, les sénateurs leur remettaient directement les parts
qu'ils auraient dû verser à l'empereur et à
l'armée.
2) L'aristocratie accueillit donc avec enthousiasme
les nouveaux venus, puisqu'elle préférait laisser
directement les revenus fiscaux à une armée locale
plutôt que de les laisser partir vers la cour de Ravenne, qui
n'avait pas les moyens de protéger la Gaule. En ce sens, la
formation du royaume burgonde ne fut finalement qu'une
conséquence des aspirations à la liquidation de l'Etat
impérial que l'aristocratie gallo-romaine, aiguillonnée
par son égoïsme de classe, développa avec constance
tout au long du Ve siècle.
3. Les Burgondes et le
pouvoir impérial
A l'exception de l'empereur Maximien, qui
assiégea Lyon vers 467 pour tenter d'endiguer l'expansion des
Burgondes, les autorités romaine entretinrent de très
bonnes relations avec les fédérés :
1) Dans un premier temps, les Burgondes
apportèrent aux Romains de précieux contingents
d'appoints. Ainsi, en 451, les Burgondes combattirent dans
l'armée romaine, qui vainquit Attila aux Champs Catalauniques.
2) Par la suite, les Burgondes
bénéficièrent du soutien tacite de la cour de
Ravenne, qui abritait les derniers des empereurs d'Occident.
S'inquiétant de la puissance des Wisigoths, les autorités
italiennes favorisèrent les Burgondes, dans lesquels ils
espéraient trouver un contrepoids à la menace
wisigothique.
3) Après la chute du dernier empereur
d'Occident, en 476, les empereurs de Constantinople, sous
l'autorité desquels l'empire se trouvait réunifié,
s'appuyèrent sur les Burgondes pour mieux lutter contre le
royaume ostrogothique qui s'était édifié en
Italie.
Bénéficiant ainsi de la confiance
impériale, les rois des Burgondes exercèrent en fait un
pouvoir d'une double nature :
1) Sur leurs sujets burgondes, ils exerçaient
un pouvoir royal, qui pour l'essentiel relevait d'une chefferie de
guerre. Le roi rassemblait les guerriers et les conduisait à la
victoire : selon le témoignage Ammien Marcellin, il pouvait
d'ailleurs être déposé s'il était
été vaincu.
2) Sur les Romains, les rois burgondes n'avait
d'autre pouvoir que celui que les empereurs romains leur avait
délégués. Ils ne manquèrent donc pas
d'utiliser les titres de " maître des milices pour les Gaules "
ou de " patrice ", que leur conférèrent
régulièrement les empereurs. Comme l'affirmait une lettre
de Sigismond à l'empereur Anastase, dont le roi avait
confié la rédaction à l'évêque Avit
de Vienne : " tous mes ancêtres ont de tout temps accordé
plus de considération aux dignités qu'ils recevaient des
empereurs qu'à ceux qui leur venaient de leurs pères. ".
3) Ce double pouvoir des rois burgondes s'exprimait
dans leurs émissions monétaires, qui étaient
frappées à l'effigie de l'empereur, à laquelle
avait été rajouté le monogramme royal.
4. Burgondes et Romains
Ce double pouvoir de roi des Burgondes et de
magistrat impérial pour les Romains détermina toute
l'organisation du royaume :
1) La royauté burgonde dut rédiger un
double code de droit : l'un pour les Burgondes (la loi dite Gombette
parce qu'elle fut proclamée par le roi Gondebaut en 502),
l'autre réservé aux seuls Romains (la loi romaine des
Burgondes, qui constitue sans doute davantage un recueil du droit
romain qu'un nouveau droit propre aux Romains vivant sous
l'autorité des rois burgondes)
2) Ce double droit explique la présence d'une
double administration : dans chaque cité, le roi était
représenté par deux comtes, l'un pour les Romains et
l'autre pour les Burgondes.
A l'échelle de l'Occident latin, le royaume
burgonde se caractérise toutefois par la faiblesse de la
distinction entre barbares et Romains, s'opposant en particulier au
royaume ostrogothique d'Italie, où les deux populations
demeurèrent longtemps très strictement
séparées :
1) D'un point de vue juridique, la loi Gombette
était particulièrement proche du droit romain. La plupart
des édits qui furent rajoutés au noyau initial
proclamé par Gondebaud eurent d'ailleurs pour but de rapprocher
le droit des Burgondes de celui des Romains.
2) A la différence du royaume ostrogothique,
où il était interdit aux barbares de se mélanger
aux Romains, aucun obstacle institutionnel ou juridique ne vint
interdire la fusion très rapide de l'aristocratie burgonde et
des sénateurs romains. Dès le début du VIe
siècle, des mariages mixtes sont attestés, dont les
descendants portèrent un double nom, burgonde et romain. Cette
fusion fut encouragée par l'absence de toute
ségrégation ethnique dans l'administration royale :
très vite des Romains purent ainsi servir dans l'armée
burgonde.
5. La question arienne
Comme la grande majorité des populations
germaniques, les Burgondes étaient en majorité, à
leur arrivée en Sapaudia, des chrétiens de confession
arienne :
1) Selon la doctrine du prêtre Arius, les
Burgondes considéraient qu'en raison de sa nature humaine, le
Christ ne pouvait avoir une divinité égale à celle
du Père, qui l'ayant engendré était donc son
créateur. Ils s'opposaient ainsi aux Romains catholiques qui
considéraient, selon le credo du concile de Nicée (325),
que le Christ était tout à la fois pleinement Dieu et
pleinement homme (" vrai Dieu issu de vrai Dieu "), affirmant en
conséquence qu'il avait été " engendré mais
non créé ".
2) L'arianisme ayant été
condamné comme hérétique par le clergé
catholique, les Burgondes durent donc se doter de leur propre
clergé, qui célébrait le culte dans des
bâtiments séparés de ceux qu'utilisaient les
chrétiens de rite nicéen.
Soucieux de réduire la concurrence de
l'église arienne, les évêques romains
s'attachèrent à convertir les Burgondes au catholicisme :
1) Forts de leur culture théologique et
rhétorique, les évêques rhodaniens
s'attachèrent à convertir les Burgondes.
L'évêque Avit de Vienne, conseiller du roi Gondebaud, fut
particulièrement actif, et parvint à obtenir de
nombreuses conversions individuelles.
2) Tout en réservant un très bon
accueil à la propagande catholique, le roi Gondebaud fit preuve
de la plus grande prudence. Pour ne pas se séparer de
l'aristocratie burgonde attachée à la confession de ses
ancêtres, il demeura arien, mais il autorisa néanmoins son
fils et héritier Sigismond à se convertir au
catholicisme, en 506.
Très progressivement, les Burgondes se
convertirent au catholicisme :
1) Dès le règne de Gondebaud, la
monarchie burgonde encouragea la fondation de monastères
catholiques. A Genève, la princesse Sédeleube fonda un
monastère dédié à saint Victor ; à
Lyon, l'épouse de Gondebaud fut à l'origine de la
fondation d'un monastère dédié à saint
Michel. La plus importante de ces fondations monastiques fut toutefois
celle de Saint-Maurice
d'Agaune, où Sigismond édifia en 515 un très
important monastère dédié aux martyrs de la
légion thébaine.
2) Après la mort de Gondebaud en 516, son
fils Sigismond lui succéda. Désormais catholique, la
monarchie encouragea les conversions individuelles sans toutefois les
imposer.
3) La conversion des Burgondes fut toutefois
difficile et âpre, comme semble le montrer l'hostilité que
Sigismond rencontra parmi les siens. Bien qu'affaiblie, l'église
arienne burgonde parvint à survivre et ne s'éteignit
définitivement qu'au cours du VIIe siècle.
6. Les Burgondes et les
Francs
Déjà confrontés à la
concurrence de voisins incommodes (Alamans au nord ; Ostrogoths
à l'est ; Wisigoths à l'Ouest), les rois burgondes durent
faire face à la montée en puissance des Francs saliens :
1) En 500 , les Francs lancèrent une
première expédition contre le royaume burgonde, à
l'appel de Godésigel, frère et concurrent du roi
Gondebaud. L'intervention du roi wisigoth Alaric II fit échouer
le projet : fort de ce soutien, Gondebaud put vaincre son frère,
qu'il fit mettre à mort ainsi que toute sa famille, contraignant
ainsi Clovis à se retirer. Le roi des Francs fut contraint
à une paix décevante, au terme de laquelle il
épousa Clotilde, fille de Gondebaud.
2) Entrés dans la pesante alliance de Clovis,
les Burgondes participèrent en 507 à la conquête
franque de l'Aquitaine wisigothique, en n'obtenant toutefois en
récompense que la seule cité de Viviers. Ce conflit
acheva de tendre leurs relations avec le roi ostrogoth
Théodoric, qui attaqua les Burgondes et fit occuper la Provence
wisigothique, interdisant à Gondebaud tout espoir d'arriver sur
les rivages méditerranéen. Au terme de la guerre, le
royaume burgonde se trouvait désormais entouré de toutes
parts par les Francs et ne pouvait plus compter sur un éventuel
soutien ostrogoth.
3) En 523, Clodomir, fils de Clovis et roi
d'Orléans, déclara la guerre au roi Sigismond, sans doute
pour venger la mort de Godégisel, dont il avait peut-être
épousé la petite-fille. L'aristocratie burgonde en
profita pour se débarrasser de Sigismond et le livra à
Clodomir, qui l'amena à Orléans, dans les environs duquel
le roi burgonde fut jeté dans un puits. Sigismond payait ainsi
le prix de sa conversion au catholicisme, qui avait
mécontenté une partie de son aristocratie, mais aussi le
crime qu'il avait commis en 522, lorsqu'il avait fait étrangler
Sigéric, le fils qu'il avait eu de son union avec une fille de
Théodoric, ce qui avait profondément
mécontenté les Ostrogoths.
Successeur de Sigismond, le roi Godomar essaya de
rétablir une situation compromise, en tentant de faire face aux
nouveaux assauts des Francs :
1) En 524, Godomar parvint à résister
à une nouvelle expédition de Clodomir : lors de la
bataille de Vézeronce, le roi franc fut battu et tué par
l'armée burgonde.
2) En 532, Childebert et Clothaire
attaquèrent les Burgondes, afin de venger la mort de leur
frère Clodomir. Godomar parvint une nouvelle fois à
résister à cet assaut.
3) En 534, les deux rois francs revinrent avec leur
frère Théodebert : cette fois-ci, Godomar ne put
résister et dut prendre la fuite, tandis que les fils de Clovis
se partageaient le royaume des Burgondes.
Retour
La Savoie au Moyen-Age, 1032-1536
L’essor de la Principauté
A.) Des comtes alpins
(XIe-XIIe siècle)
Entre la fin du XIIe et les dernières
décennies du XIIIe siècle, les comtes de Maurienne-Savoie
accroissent progressivement leurs domaines.
La première étape, c’est un
contrôle accru sur les vallées et les cols alpins.
Le deuxième palier c’est l’expansion
géo-politique du XIIe siècle en direction des plaines
péri-alpines (piémontaises, bressanes, vaudoises).
La dernière phase, c’est le renforcement
politique de la principauté : les seigneurs locaux se
transforment en fidèles vassaux des comtes de Savoie.
A/.1.- La Savoie et Humbert,
dit "aux Blanches Mains"
A l’aube du nouveau millénaire, la Savoie
fait partie du royaume indépendant de Bourgogne régi par
la dynastie des Rodolphiens. Son dernier roi, Rodolphe III, meurt en
1032 sans héritiers directs.
Les sources dont nous disposons, d’origine royale et
épiscopale, montrent une société dont les
institutions sont encore proches de leurs ancêtres
carolingiennes.
- Au centre, le roi, sa cour itinérante et
ses biens fonciers, appelés fiscs.
- Sur le terrain, une série de
circonscriptions, les comtés, où s’activent des agents
royaux, les comtes, mais où agissent aussi les
évêques, souvent nommés par ce même roi et
choisis parmi ses parents.
Or, durant les années de gouvernement de
Rodolphe III, les élites aristocratiques du royaume de Bourgogne
ont tendance à s’ancrer dans un territoire précis. Les
historiens peuvent poser les jalons des futures
généalogies des puissants régionaux. Il est vrai
que les ancrages locaux de ces aristocrates sont encore partiels ; leur
existence met toutefois en danger l’autorité d’un roi qui risque
de ne plus apparaître tel un souverain redoutable et sacré
mais comme un simple arbitre politique.
Ainsi Rodolphe III, prenant comme modèle les
institutions mises en place en Germanie par les empereurs ottoniens
renforce les pouvoirs politiques de ses évêques. Ce sont
des prélats actifs au coeur même du royaume, entre le Jura
et les Alpes. Entre 996 et 1023, les évêques de Sion et de
Lausanne, ainsi que les archevêques de Tarentaise et de Vienne,
reçoivent des mains du roi de larges pouvoirs sur leurs
comtés respectifs.
Malgré la très mauvaise presse que
cette politique a longtemps eu dans l’historiographie, force est d’y
reconnaître une véritable stratégie de conservation
et de protection royales. Le roi nomme les évêques ;
ceux-ci sont bien souvent ses alliés voire ses parents. Rodolphe
s’efforce ainsi d’évincer du pouvoir les puissants laïques
qu’il craint de ne plus dominer.
Dans ce contexte apparaît, aux environs de
l’an mil, un personnage aussi nouveau que puissant dans l’entourage
royal, le comte Humbert. L’historiographie savoyarde de la fin du Moyen
Age l’a affublé du surnom légendaire et anachronique de
"Blanches-Mains".
Humbert est, tout d’abord, un personnage nouveau.
Quelles que soient les tentatives des historiens de lui trouver des
ancêtres aussi illustres que ses futurs descendants, rien n’y
fait, cet Humbert ne semble pas avoir de passé.
En fait, la question doit être posée
autrement. Humbert a, bien un passé, mais il ne s’agit ni d’un
passé localisé, ni d’un passé connu. Selon un
modèle très carolingien, il doit sa réussite
essentiellement à son roi, à un roi qu’il conseille et
qu’il sert (il est comte), un roi à qui il a même
réussi en 1011 à faire épouser en secondes noces
une proche parente, Ermengarde. Pour Humbert, la faveur royale compte
plus qu’une ascendance familiale et territoriale. Cette dernière
demeure obscure ; elle fut peut-être viennoise, ou bourguignonne
ou encore genevoise. Au fond, peu importe : c’est sa proximité
avec le roi qui compte vraiment, c’est bien cela qui explique son
apparente absence de passé.
Ce comte Humbert apparaît comme le prototype
même du nouveau puissant, car, puissant, il l’est sans l’ombre
d’un doute. Bénéficiaire direct ou indirect de maintes
libéralités royales, Humbert est aussi parent de divers
évêques ; il acquiert ainsi de nombreux biens dans
plusieurs comtés situés entre le Rhône et les
Alpes.
Alors, ce nouveau puissant, cet Humbert comte
rodolphien actif de Belley au Viennois et à Saint-Maurice,
d’Aoste à la Maurienne, est-il un comte de Savoie? En
vérité, rien ne le prouve. Jamais un quelconque document
ne spécifie la portée géographique de son titre
comtal. Jamais, il n’est dit "comte de Savoie " ou "comte en Savoie".
Son pouvoir se trouve avant tout dans les liens rapprochés
qu’Humbert et ses proches ont noué avec le dernier roi
rodolphien.
Quels sont donc les fondements de ce pouvoir?
- Des terres familiales possédées en
pleine propriété (les alleux) et
disséminées dans plusieurs zones du Royaume, le plus
souvent en milieu alpin et péri-alpin
- De nombreuses donations foncières en
provenance du roi
- Des activités administratives (comte) qui
renforcent sa proximité royale
- Probablement un mariage bien
décroché, celui de sa parente, Ermengarde, avec le roi
lui-même.
Pourtant, dans les années 1020-1040, la
puissance des Humbertiens (comme nous appelons la dynastie
formée par Humbert et ses parents - frères, fils, neveux
et cousins) manque encore cruellement de cohérence territoriale
; elle reste fondée sur le contrôle de terres, de droits
et d’hommes situés dans les régions les plus diverses de
l’ancien Royaume.
La nouveauté du XIe siècle est la
suivante : les Humbertiens vont essayer de rendre leur
géographie seigneuriale la plus cohérente possible.
Pourquoi cela? Parce que, tout en ne devenant jamais rois, Humbert et
ses successeurs s’affirmeront dans la région comme les nouveaux
puissants capables de se tailler le contrôle d’une vaste aire
d’influence entre le Rhône et les Alpes.
Au seuil du nouveau millénaire, tout cela ne
suffirait pas pour faire d’Humbert l’homme fort des Alpes occidentales,
celui qui, après la mort de son roi Rodolphe, en 1032, favorise
la prise de pouvoir bourguignonne de l’Empereur Conrad II (il lui ouvre
la voie vers les Alpes et l’Italie). Pour ce faire, il faut qu’en sus
des terres, des offices et des hommes, les Humbertiens contrôlent
un autre rouage politique essentiel : l’Eglise, ses
évêchés et ses monastères (‡ l’Eglise)
Entre l’an Mil et le milieu du XIIe siècle,
le pouvoir politique passe donc des rois aux comtes par le truchement
des évêques.
Ces comtes ne deviennent pourtant pas les seuls
détenteurs d’un pouvoir régional. Ils doivent, pour
l’heure, le partager avec une myriade d’autres seigneurs, laïques
et ecclésiastiques.
A/ 2. - Des comtes et d’autres
seigneurs
Après la fin du royaume indépendant de
Bourgogne en 1032, ses territoires ont des évolutions politiques
différentes.
Dans certaines régions, tel le Pays de Vaud,
l’autorité politique se morcelle au plus haut point. Elle est
alors aux mains de lignages seigneuriaux localisés et
concurrents. Toute unité politique régionale est absente.
Au contraire, ailleurs (Genevois, Bugey Combe de
Savoie) des familles comtales récupèrent la
majorité des pouvoirs, des abbayes et des terres du roi. Ces
comtes deviennent de véritables référents
politiques régionaux. Leurs dynasties coordonnent les autres
seigneurs locaux (de "très nombreux nobles" se tiennent, par
exemple, au côtés du comte Humbert lors d’une donation
à l’abbaye de Savigny).
Dans ces régions "comtales", les Humbertiens,
les comtes de Genève ou les Guigonides (futurs comtes d’Albon et
Dauphins du Viennois), contrôlent leurs aristocraties. Des
entourages comtaux se développent, constitués de
seigneurs locaux (les Féternes ou les La Chambre auprès
des Savoie). Certains lignages reçoivent même d’anciens
titres administratifs carolingiens, tel celui de vicomte (Miolans-La
Chambre en Maurienne ; Baratonia en Vallée de Suse). Ailleurs,
les comtes s’accordent avec les évêques en vue d’un
partage de leurs pouvoirs respectifs. Ce fut le cas en vallée
d’Aoste entre l’évêque, le comte de Savoie et les vicomtes
d’Aoste, futurs Challant, les plus prestigieux seigneurs de la
région (1190)..
Dans ces régions à " trois vitesses"
(rois-comtes-seigneurs) se développent, en parallèle, les
liens féodaux. De nombreux seigneurs prêtent hommage au
comte en recevant de celui-ci des terres, des hommes et d’autres droits
en fief.
Cet essor n’est pas présent dans les
régions "à deux vitesses" (rois-seigneurs) ; les
différents seigneurs indépendants y demeurent en
concurrence pendant tout le XIIe siècle.
Du XIe au XIIe siècle, les Humbertiens
renforcent leurs pouvoirs dans une géographie alpine qui se
précise. Ils sont maîtres de la région de Belley,
puissants en Viennois et en Maurienne ainsi que protecteurs du
bas-Valais en tant qu’abbés de Saint-Maurice. En outre, ils
développent des liens transalpins après le mariage
d’Odon, fils de Humbert, avec l’héritière des marquis
Arduinides de Turin, en 1046 : en quelques décennies la
Vallée de Suse tombe sous leur coupe ; en outre, au XIIe
siècle, ils sont très actifs en vallée d’Aoste et
en Chablais.
Ne nous étonnons pas, alors, de voir
vocabulaire politique des Humbertiens changer en conséquence :
ils ne seront plus de simples comtes, mais des comtes de Maurienne et
des marquis en Italie. Ils s’apprêtent à devenir les
maîtres d’une véritable seigneurie régionale, un
ensemble géo-politique que nous appelons principauté. Ils
seront comtes de Savoie, d’une Savoie politique qui constitue
dès lors le coeur même de leur domination.
C./ -3 - Le comte dans ses
terres
Quelles sont les ressources des comtes, d’où
tirent-ils leurs revenus?
Grands seigneurs régionaux, les comtes de
Savoie, dominent avant tout de très nombreuses terres avec les
droits et les hommes qui leur sont attachés. Ils sont les plus
importants seigneurs fonciers de la région. Leurs principaux
revenus proviennent donc, pendant longtemps, de leurs domaines propres.
Il peut d’agir des ressources agraires produites dans leurs domaines,
ou bien des redevances, en nature et en argent, que doivent payer les
paysans qui y travaillent.
En outre, les comtes sont de grands seigneurs de
ban. A partir de leurs nombreux châteaux, ils dominent des
terroirs cohérents. Tous leurs habitants, exceptés les
clercs, les chevaliers et les autres nobles seigneurs, doivent verser
au comte des redevances en échange de la protection
assurée par son château et ses chevaliers.
A partir du XIIe siècle, les comtes
concèdent toujours plus de terres en fief aux seigneurs locaux
qui deviennent leurs vassaux. Ces inféodations peuvent se payer,
comme c’est le cas dans le Pays de Vaud du XIIIe siècle.
La domination politique concerne aussi les
communautés de paysans et de bourgeois. Celles-ci
reçoivent des privilèges qu’il leur faut payer en monnaie
sonnante et trébuchante (mis par écrit, on les appelle
des chartes de franchises).
Enfin, le contrôle des vallées, des
cluses et des cols alpins procure aux futurs comtes de Savoie des
surplus monétaires non négligeables. Ce sont les
différentes taxes et redevances perçues sur leurs
péages des deux côtés des Alpes (Avigliana,
Montmélian, Bard, Pont-de-Beauvoisin).
Les comtes disposent ainsi de ressources
variées : foncières et féodales, politiques et
économiques. Cela conduit, dès le XIIe siècle, aux
prémices d’une administration financière. Il faut, en
effet, des spécialistes de la gestion des biens et des droits
comtaux.
Tout comme les chevaliers étaient devenus,
dès le XIe siècle, les meilleurs atouts de la
répression seigneuriales, ainsi, au XIIe siècle,
apparaissent des "professionnels" de la gestion du domaine. On les
nomme les ministériaux ; en Savoie, le terme le plus
utilisé est celui de "métral". Ce sont souvent des
paysans, parfois des serfs, qui réussissent une ascension
sociale grâce à leurs liens avec le comte. Dès les
années 1170, ces métraux (on les trouve aussi dans
l’entourage des autres seigneurs) commençent à être
chapeautés par des châtelains. Ces derniers ne sont plus
des seigneurs indépendants mais bien des officiers du comte. Les
débuts de l’administration savoyarde se mettent en place.
Où situer le centre de cette administration?
Les Savoie ont besoin d’une capitale, ils vont la créer de
toutes pièces.
B./ L’expansion du XIIIe
siècle
Entre la fin du XIIe et les dernières
décennies du XIIIe siècle, les comtes de Maurienne-Savoie
accroissent progressivement leurs domaines.
La première étape, c’est un
contrôle accru sur les vallées et les cols alpins.
Le deuxième palier c’est l’expansion
géo-politique du XIIe siècle en direction des plaines
péri-alpines (piémontaises, bressanes, vaudoises).
La dernière phase, c’est le renforcement
politique de la principauté : les seigneurs locaux se
transforment en fidèles vassaux des comtes de Savoie.
B./ 1. - "Portiers des Alpes"
Dès le IXe siècle, le royaume de
Bourgogne apparaît, vu d’ailleurs, comme un royaume alpin par
excellence. Un chroniqueur germanique écrit que Rodolphe Ier
avait réussi à repousser de nombreuses attaques en se
réfugiant "dans des lieux très sûrs ...
peuplés de bouquetins". A la fin du Xe siècle, le roi
anglo-danois Knut le Grand enverra une missive à Rodolphe III en
lui demandant une sorte de sauf-conduit alpin pour son
pèlerinage romain.
Les premiers comtes humbertiens, héritiers
des pouvoirs royaux, s’efforcent de maintenir, pendant tout le XIe
siècle, cette caractéristique. Ils se veulent protecteurs
des Alpes occidentales, du Montcenis au Petit-Saint-Bernard, de la
vallée d’Aoste à Saint-Maurice.
De ce point de vue, une étape fondamentale
est franchie après 1046. Le mariage du comte Odon avec
Adélaïde, héritière des comtes-marquis
Arduinides de Turin, amène les Humbertiens à s’ancrer,
surtout à partir du XIIe siècle, en vallée de
Suse.
L’emprise savoyarde sur les vallées alpines, sur leurs cols et
sur leurs cluses, est assurée par la mise en place d’importants
péages à l’embouchure des vallées de montagne :
à Chillon (sur la route qui du Jura rejoint le Grand
Saint-Bernard) ; à Montmélian et à Aiguebelle (sur
la voie qui de l’Isère mène à la Maurienne) ;
à Avigliana (en direction de la plaine du Pô).
Dans le courant du XIIe siècle, les
Humbertiens modifient en leur faveur le paysage routier des Alpes
occidentales. Les routes qui portent aux deux cols les mieux
contrôlés par la famille, le Grand Saint-Bernard et le
Montcenis, assurent leur suprématie commerciale et militaire par
rapport aux autres voies de passage alpines.
Dès lors, dans le jeu politique et
économique européen, les Humbertiens apparaissent
à tous, Papes et Empereurs, moines, pèlerins et grands
marchands, comme de véritables "portiers des Alpes" ; des
portiers nouveaux pour des Alpes "nouvelles". Mais les comtes de
Maurienne-Savoie ne se contentent pas de gérer les flux des
passages alpins, d’où une volonté d’expansion vers la
plaine, au nord comme au sud.
B/ 2. - Du Léman au
Piémont
En 1207 un diplôme de l’Empereur Philippe de
Souabe trace les grandes directrices de la future expansion savoyarde.
Le roi allemand concède en fief au comte Thomas les bourgs de
Chieri (grande place marchande près de Turin) et de Moudon
(chef-lieu du Pays de Vaud). Du Nord au Sud, les axes de l’expansion
savoyarde sont les mêmes : vers les plaines, dans les villes ou
dans les bourgs. Il est vrai que, pour l’heure, la concession
impériale est purement théorique, mais les comtes
savoyards s’évertuerons de la rendre pratique avant la fin du
siècle.
Entre 1240 et 1260 Pierre de Savoie, frère
cadet du comte, installe le pouvoir savoyard au nord du Léman,
par le biais d’accords féodaux et grâce à la mise
en place d’un réseau de châteaux comtaux. Entre-temps, en
1232, le comte Thomas Ier avait acquis le bourg même de
Chambéry auquel il avait immédiatement
concédé une charte de franchise, riche en
privilèges économiques et fiscaux. Enfin, en 1280, Thomas
III réussit à imposer définitivement la tutelle
savoyarde sur la commune de Turin ; dans le même temps,
l’avancée savoyarde en Bresse se fait toujours plus pressante.
Le XIIIe siècle voit l’aire d’influence
savoyarde se stabiliser sur les deux versants alpins. Ce sont les
premiers pas de la principauté de Savoie. Les Humbertiens, qui
se nomment à présent "comtes de Savoie", consolident leur
suprématie politique et développent un contrôle
féodal sur les autres seigneurs en passe de devenir leurs
propres vassaux.
B./ 3. - Les seigneurs
deviennent des fidèles
Les princes savoyards utilisent dès le XIIe
siècle les liens féodaux et les hommages vassaliques pour
assurer leur emprise sur le terrain et leur autorité sur tout
autre seigneur.
Cette facette de leur pouvoir se montre au mieux
dans le Pays de Vaud du XIIIe siècle, La "conquête"
savoyarde de cette région au nord du Léman
(divisée en plusieurs seigneuries concurrentes) s’accomplit non
pas au gré de victoires militaires mais bien grâce une
longue campagne d’hommages. Cette campagne couvre au moins vingt ans,
entre 1240 et 1260 ; elle est organisée par Pierre II, le futur
"petit Charlemagne" de l’historiographie vaudoise. En quelques
décennies presque tous les grands seigneurs vaudois
prêtent hommage aux Savoie. Ces puissants concèdent
à Pierre leurs seigneuries jusqu’alors possédées
en pleine propriété (les alleux). Pierre les remercie,
très souvent il les paye aussi, puis leur rend leurs biens,
cette fois en fief.
Par ces échanges, que les historiens
appellent fiefs de reprise, les seigneurs maintiennent le
contrôle pratique de leurs terres tandis que les princes de
Savoie assurent leur suprématie politique et institutionnelle
sur la région.
Ces mêmes liens féodo-vassaliques sont
utilisés par les comtes de Savoie pour résoudre des
problèmes dynastiques et d’héritage au sein de leur
propre famille. Dans les dernières décennies du XIIIe
siècle les comtes concèdent de vastes domaines à
leurs cadets en contrepartie de l’hommage vassalique et du serment
féodal. Le modèle, ici, vient de France et des divers
territoires concédés par les rois capétiens
à leurs puînés. Ces seigneuries
gérées par une branche cadette de la dynastie
régnante sont appelées des apanages.
Dans les terres savoyardes, deux sont les apanages
les plus importants, à partir des années 1287-1290.
- La Baronnie de Vaud, qui ne sera
récupérée par les comtes de Savoie qu’en 1359
- Le Piémont savoyard (exceptée la
vallée de Suse ; capitale Pignerol en non Turin). Ces terres
demeurent jusqu’en 1418 sous la tutelle d’une branche cadette : les
princes de Savoie-Achaïe.
Les institutions féodales ont donc
été utilisées par les comtes de Savoie pour
unifier leur principauté et renforcer leurs pouvoirs alpins.
En vérité, et forts d’une assise aussi
bien foncière que féodale et administrative, les Savoie
vont continuer, pendant le bas Moyen Age, à étendre leur
zone d’influence tout en s’efforçant de rendre leur
principauté toujours plus cohérente d’un point de vue
géographique.
C.) Du comté au
duché (XIVe-XVe siècle)
Les deux derniers siècles du Moyen Age sont
une période d’épanouissement pour une principauté
qui engrange d’autres territoires en son sein, du Faucigny au
comté de Genève, de Nice à Verceil.
Les comtes, devenus ducs en 1416, jouent un
rôle non négligeable dans la politique militaire et
religieuse de l’Occident des XIVe et XVe siècles. La guerre de
Cent Ans entre la France et l’Angleterre leur laisse les
"coudées franches", tandis que le prestige acquis par le
comte-duc Amédée VIII fera de lui un Pape, nommé
par le concile de Bâle en 1439.
Toutefois, la seconde moitié du XVe
siècle sera aussi une période des désordres
internes et d’affaiblissements diplomatiques qui risquèrent de
faire disparaître à tout jamais la principauté
savoyarde en tant que protagoniste politique autonome.
C./ 1-. - Savoie et
Dauphiné
Du XIIIe au milieu du XIVe siècle, la Savoie
n’est pas la seule principauté des Alpes occidentales. Il y a
aussi :
- le comté de Genève (capitale Annecy
et non Genève, contrôlée par ses
évêques et ses élites urbaines) ;
- les terres des Dauphins du Viennois (anciens
comtes d’Albon) à quelques kilomètres à peine de
Chambéry et de Montmélian.
Du point de vue politico-diplomatique, les
années 1200-1340 sont celles du conflit entre Savoie et
Dauphins. Pendant longtemps aucun des deux belligérants n’arrive
à défaire son adversaire ; à une victoire
dauphinoise (Varey, 1325) succède une revanche savoyarde
(Montoux, 1332), et vice-versa.
Au milieu du XIVe siècle, la situation
évolue rapidement. Entre 1343 et 1349, le Dauphin Humbert II
vend sa principauté au roi de France. Les historiens
d’aujourd’hui appellent cela le "transport" du Dauphiné à
la France. Les princes de Savoie ne luttent plus contre un adversaire
à leur mesure : une autre principauté alpine, elle aussi
maîtresse d’un col (le Montgenièvre) et présente
sur le versant méridional des Alpes (vallées vaudoises ;
Bardonèche). Le rival est désormais tout autre, et
tellement plus puissant! Ce sont le roi français et son fils
aîné, le futur Dauphin de France. Une solution s’impose.
Grâce aussi à une éclatante victoire savoyarde (Les
Abrets, 1354), les négociations aboutissent. En 1359, le
traité de Paris met fin au long conflit delfino-savoyard.
Les clauses principales du traité montrent
les progrès de l’idéologie princière : les deux
camps partagent une même intérêt pour la
cohérence territoriale de leurs Etats naissants
Le but du traité est de d’établir un
statu quo permanent. La solution est innovante : le Dauphiné
français et la Savoie princière mettent sur pied en
échange de terres de grande envergure. Les Savoyards
cèdent aux Valois leurs biens en Viennois, parmi lesquels des
terres qu’ils contrôlaient depuis des siècles. En
contrepartie, Amédée VI reçoit le Faucigny
(dauphinois à partir du XIIIe siècle) : la Combe de
Savoie est ainsi mieux reliée au Chablais.
Ce même objectif, le renforcement de la
cohésion géo-politique de la principauté,
sous-tend presque toutes les autres opérations
politico-militaires des princes savoyards :
- rachat de la baronnie de Vaud en 1359
- mise au pas des autonomies des
évêques (Tarentaise, Maurienne, Lausanne)
- acquisition du comté du Genevois
(1402-1420)
- récupération, à la mort du
dernier Savoie-Achaïe en 1418, de l’apanage piémontais.
- conquête de Verceil (1427).
Bref, entre le milieu du XIVe et la troisième
décennie du XVe siècle, le comté de Savoie a
définitivement acquis le profil d’une principauté
régionale. De leurs Alpes, les Savoie ont atteint les plaines ;
ils voient la mer (sédition de Nice, 1388) ; ils
contrôlent (Lausanne, Turin, Nice) ou encerclent (Genève,
Sion) les villes. L’empereur lui-même ne n’y trompe pas : en 1416
il érige l’ancien comté en nouveau duché sous la
houlette de son prestigieux prince, Amédée VIII.
C./ 2. - Amédée
VIII, protagoniste de la politique européenne au XVe
siècle
Le long règne d’Amédée VIII
s’échelonne de 1391 à 1451. Accédant au
comté encore mineur suite au décès improviste de
son père, Amédée gouverne d’abord sous la tutelle
de sa grand-mère Bonne de Bourbon. La Savoie risque d’entrer de
plein pied dans l’aire d’influence des princes français
(Bourbon, Bourgogne). Toutefois, à partir de 1398,
Amédée prend les rênes du gouvernement et contribue
à asseoir le prestige de sa dynastie et de sa
principauté.
Son activité diplomatique fait
d’Amédée un véritable homme d’état
européen. Il est un arbitre écouté dans les
démêlés de la guerre de Cent Ans ; il renforce la
place de sa principauté au sein de l’Empire romain (en 1416
l’Empereur Sigismond le fait duc) . A la mort de sa femme, Marie de
Bourgogne, Amédée VIII de Savoie abandonna le pouvoir au
profit de son fils, et se retira avec quelques compagnons dans
l'ermitage de Ripaille qu'il avait
fondé en 1434, près de Thonon. Il y vécut cinq
ans, jusqu'à ce que les prélats schismatiques
réunis à Bâle, l'élisent pape sous le nom de
Félix V ; il accepte la tiare pontificale offerte, en 1439, par
les Pères du concile de Bâle.
En vérité, ses plus grandes
réussites, ainsi que ses échecs les plus cuisants;
concernent le gouvernement de sa principauté.
Du côté des réussites
nous trouvons :
- la poursuite de l’expansion territoriale
(Genevois, Piémont)
- les acquis institutionnels et administratifs (par
exemple les Statuts ducaux de 1430)
- la splendeur de la cour de Savoie, très
proche des fastes de la cour bourguignonne.
Du côté des échecs,
il y a d’abord la question de Genève, une ville dans laquelle
Amédée réside souvent sans toutefois
réussir à l’intégrer durablement dans ses Etats.
Le problème genevois aura des répercussions jusqu’en
pleine époque moderne.
L’autre grand échec est une
conséquence des déséquilibres politiques
liés à la réussite de l’expansion savoyarde. Il
est vrai qu’Amédée VIII cède formellement son
duché à son fils Louis dès 1434, lors de sa
retraite comme ermite à Ripaille. Et pourtant, même en
tant que (anti)pape, Amédée continue jusqu’à sa
mort à diriger le nord des Etats de Savoie ; son fils, lui,
s’installe au sud des Alpes, à Turin, dans le but de favoriser
l’expansion italienne de la principauté.
Craignant la force, financière et militaire,
des principautés italiennes, et tout particulièrement du
duché de Milan, Amédée tente de dissuader le
nouveau duc d’entrer en guerre contre les Milanais. Il écrit
d’ailleurs de nombreuses lettres à son fils en lui implorant
d’éviter l’affrontement. Peine perdue : les armés
savoyardes tentent bel et bien de prendre le Milanais (campagnes de
1448-9). La déroute est complète. Moins nombreuses et
moins bien payées, les troupes savoyardes s’écroulent
au-devant des mercenaires italiens (les meilleurs professionnels de la
guerre de ce milieu du XVe siècle).
Cette défaite militaire, qui bloque pour des
siècles toute aventure italienne des Savoie, en annonce
d’autres, bien plus graves, qui trouvent leurs raisons d’être
dans les limites mêmes de la réussite princière des
Savoie.
Depuis quelques siècles la dynastie savoyarde
avait certes frayé son chemin parmi l’élite
princière européenne. Les mariages des comtes et de leurs
filles l’attestent bien. Déjà au XIIIe siècle,
Béatrice de Savoie, fille et soeur de comtes, est chantée
par Dante dans sa Divine Comédie (Paradis, VI) : "elle eut
quatre filles et chacune fut une reine" (en France, en Germanie, en
Sicile et en Angleterre).
Il est vrai encore qu’au XIIIe siècle, les
Savoyards, emmenés par Pierre de Savoie et par son frère
archevêque de Cantorbéry, représentent une
puissante faction aristocratique en Angleterre. Ils nouent ainsi des
liens durables entre les Alpes et les îles britanniques.
Il est vrai enfin que, du XIIIe au XVe
siècle, la principauté savoyarde s’est pourvue
d’institutions législatives, judiciaires et administratives
équivalentes à celles des autres principautés et
royaumes d’Occident. Elle a aussi réussi une véritable
percée politico-militaire dans les régions alpines.
Tous ces acquis se suffisent pourtant pas à
faire de la Savoie une puissance européenne stable et influente.
Le désastre milanais est là pour le rappeler. Au devant
d’adversaires plus riches et mieux organisés, toute la
supposée splendeur savoyarde risque de s’affaisser en un clin
d’oeil.
Or, au milieu du XVe siècle, la guerre de
Cent Ans se termine sur une victoire française, et le puissant
voisin occidental peut commencer à s’intéresser à
nouveau à ses marges alpines. Voilà alors pourquoi et
comment la seconde moitié du XVe siècle va se
révéler une période très difficile pour le
nouveau duché savoyard.
C./ -3. - Le royaume de
France, un voisin incommode
Enfin sorties de la guerre de Cent Ans, France et
Bourgogne se tournent bien vite vers la Savoie, ce voisin en essor.
L’occasion leur est donnée par les conflits de faction qui
voient le jour à la cour savoyarde dans les années 1440.
D’un côté il y a les proches, les favoris, d’Anne de
Chypre, épouse du duc Louis, tel le remuant François de
Compeys appuyé par de nombreux officiers ducaux. L’autre parti
est constitué par la fine fleur de l’aristocratie (savoyarde,
genevoise, bressanne), des Menthon aux Challant, des Varembon aux La
Baume. Ces querelles prennent un tour violent après que les
nobles ligueurs eurent blessé François de Compeys. La
mort, en 1451, d’Amédée VIII précipite les
évènements. Louis, fort de son pouvoir, décide de
bannir tous les seigneurs ligueurs. Or, ces derniers se
réfugient aussitôt qui à la cour de France qui
auprès du duc de Bourgogne.
Les liens internationaux de la grande aristocratie
européenne mettent en difficulté le jeune duc. Les
conjurés demandent à leurs nouveaux protecteurs
d’intervenir en leur faveur, pour que leurs terres et leurs offices
leur soient rendus au plus vite. Le vent de la diplomatie et de la
guerre a tourné et le roi de France oblige, dès
l’année suivante, le duc de Savoie à
réintégrer tous les bannis dans leurs droits. Il en
résulte même un accord officiel (traité de
Cleppié, 1452). L’ingérence française et
bourguignonne en Savoie se montre alors au grand jour.
Au cours des décennies suivantes, le cadre
politique ne cesse s’empirer.
C’est d’abord la périlleuse politique de
neutralité que mènent les ducs pendant les guerres de
Bourgogne. D’une part, ils sont tiraillés entre leurs parents et
alliés français et bourguignons ; d’autre part ils se
préoccupent de la montée en puissance des villes suisses
et des cantons confédérés.
Ce sont ensuite les difficultés dynastiques
et d’héritage qui multiplient les apanages internes à la
principauté (Genevois, Bresse, comté de Romont).
C’est enfin l’équilibre toujours plus
difficile entre le vieux centre savoyard et les nouvelles
velléités d’ancrage piémontaises. Turin devient
une véritable capitale, pourvue de la seule université
princière, de tous les appareils de gouvernement (dès
lors dédoublés), ainsi que d’une démographie plus
dynamique que celle de Chambéry.
Tous les éléments, internes et
externes, d’une crise politique et dynastique sont réunis. Entre
1460 et 1530, ils vont croître et se multiplier, qu’il s’agisse
de l’infériorité militaire face à la France et
au-devant des cantons suisses, ou bien des premières
percées du protestantisme, à Genève et ailleurs.
Voilà qui sonne le glas des structures médiévales
de la principauté savoyarde. Cette principauté n’est,
somme tout, jamais entièrement réussie.
Après 1536, le duché de Savoie doit sa
renaissance à la conjoncture politique ; ses fondements seront
différents de ceux bâtis par ses princes pendant
près de trois siècles.
Retour
LA REVOLUTION EN SAVOIE : 1792-1799
La Révolution est un événement
essentiel auquel la Savoie n’a pas échappé. Elle
influença la société, les mentalités et le
patrimoine, la grande question étant de déterminer si
globalement cette "cassure" fut négative comme l’a
affirmé le courant conservateur catholique majoritaire ici ou si
en dépit des apparences elle n’en a pas moins apporté des
éléments positifs déterminants comme l’ont soutenu
maints historiens contemporains. Néanmoins force est de rester
prudent car les archives administratives et politiques essentielles ont
disparu dans l’incendie du château de
Chambéry en décembre 1798 et les archives
privées sont fort rares pour cette période
troublée.
Une nouvelle fois, la Savoie reçut de ses
voisins l’impulsion des évènements nouveaux. Les
émigrants savoyards établis en France et surtout à
Paris ne pouvaient manquer de communiquer à leurs compatriotes
les nouvelles et les données des polémiques et des
évènements français relayés encore par les
voyageurs se rendant de France en Italie.
LA MISE EN PLACE DU REGIME FRANCAIS ( octobre
1792-juin 1793)
LA CONQUETE. La
surprise est autant de la facile conquête du duché
évacué sans résistance par les troupes et les
autorités piémontaises que de la trahison de Montesquiou
s’arrêtant devant Genève au lieu de s’en emparer et
passant lui-même bientôt à l’ennemi. Certes un peu
partout se créent des clubs révolutionnaires et des
sociétés révolutionnaires qui s’emparent des
pouvoirs locaux mais que faire de cette nouvelle conquête ?
LA FIN DE L’ANCIEN REGIME.
Une assemblée dite des Allobroges réunit à la
cathédrale de Chambéry un millier de
députés des communes où dans la confusion s’impose
vite un petit groupe de Savoyards de France revenus au pays pour
"convertir" leurs compatriotes (tel l’abbé
Simond). En quelques jours, l’ancien régime est aboli
dans la complicité générale (avec la visite
"respectueuse" de l’archevêque de Tarentaise et du Sénat)
et plutôt que d’envisager une incertaine ou difficile
république locale, il est jugé plus facile et plus
intéressant de voter le ralliement à la Grande Nation
(l’hypothèse d’une autonomie ou d’une indépendance
savoyarde étant dorénavant définitivement
abandonnée !). Encore faut-il se faire accepter par la
Convention qui, hésitante et occupée par bien d’autres
problèmes, met du temps à se prononcer et à
’envoyer enfin trois représentants en mission ( Hérault
de Séchelles, Jagot, Simond et l’abbé Grégoire)
dans le nouveau département dit du "Mont-Blanc", charge à
eux d’installer ici le régime français.
LE NOUVEAU REGIME. Ce
n’est donc finalement qu’au printemps 1793, que la Savoie sortit de
l’incertitude et du provisoire pour mieux s’apercevoir de l’ampleur de
certaines illusions de l’année précédentes. Les
nouvelles circonscriptions ravivaient les querelles locales ainsi
Annecy ne pouvant supporter de voir sa rivale Chambéry rester le
chef-lieu politique du Mont-Blanc, recevait en compensation le nouveau
siège diocésain départemental de la nouvelle
Eglise constitutionnelle en se promettant bien de tout faire pour
bénéficier d’autres avantages. Personne n’avait
envisagé une persécution religieuse bien au contraire et
d’ailleurs une bonne partie du clergé avait souscrit au serment
de la constitution civile du clergé d’où la surprise
devant la fermeture et le pillage des couvents ainsi que devant les
premières exigences politiques et matérielles vis
à vis du clergé paroissial. Il fallut supporter les
premières charges militaires, les premiers recrutements
administratifs, peupler les nouveaux tribunaux et les nouveaux bureaux
c’est à dire éliminer les uns et imposer les autres. La
guerre menaçait sur la crête des Alpes d’où l’on
craignait de voir revenir les Piémontais, et bien entendu il ne
semblait pas que les impôts dussent diminuer, bien au contraire.
LA TERREUR
L’OFFENSIVE SARDE. On
n’avait encore rien vu: la guerre atteint la Savoie car les
Piémontais assoiffés de revanche attaquent en septembre
1793, trop tard certes pour être efficaces et en accord avec la
révolte fédéraliste de Lyon, mais il
n’empêche qu’en trois colonnes par le Faucigny, la Tarentaise, la
Maurienne, ils occupent les hautes vallées et font croire aux
Savoyards restés fidèles à la Maison de Savoie
l’éventualité d’une restauration. Hélas ! on n’en
tire que des défaites et d’amères tueries (ainsi à
Saint-Michel de Maurienne), beaucoup de déconvenues et de
vengeances. Désormais la guerre se limite en de vaines
escarmouches sur les crêtes mais l’armée française
fait durement sentir sa présence dans tout le pays.
REACTION ET REPRESSION.
Des émeutes royalistes à Chambéry
et Annecy, le soulèvement du massif des Bornes autour de
la mystérieuse Frichelette, il n’en faut pas plus pour durcir le
régime, d’autant que les communautés paysannes ne
supportent guère ni les réquisitions, ni la dépose
des cloches (devant être fondues) et encore moins le nouveau
clergé constitutionnel récusé même avant de
s’installer. Les prisons sont pleines et même si la guillotine
est inconnue ici, on l’attend d’un moment à l’autre
LA TERREUR. Le nouveau représentant en
mission régional Albitte se fait
vite remarquer par son zèle: arrestation systématique des
nobles restés sur place (avec envoi des jeunes en apprentissage
chez des artisans pour les "convertir" à l’égalité
démocratique), fermeture des églises avec confiscation
des œuvres d’art et objets liturgiques et surtout abattage
systématique des clochers, fêtes de la raison dans les
anciennes cathédrales. Albitte était-il aussi mauvais
qu’il a pu le paraître et comme on l’a longtemps soutenu ? il
semble que la Savoie ait été relativement
épargnées des horreurs de bien d’autres régions et
que l’on se contenta souvent ici de demi mesures ou de simples
apparences. Il n’empêche que les évolutions
s’accéléraient car l’irrémédiable culturel,
social et politique était accompli et tout retour en
arrière impossible
MODERATION ET SPECULATIONS ( mai
1794-septembre 1797)
LA DETENTE. Le rappel
d’Albitte à Paris sonna le signal d’une certaine détente
d’autant que la Savoie ne pouvait manquer de suivre les
évolutions parisiennes. On eut bien de nouveaux
représentants en mission mais aucun n’eut les prétentions
révolutionnaires d’Albitte, les prisons se vidaient, les
confiscations se freinaient, les interdictions se levaient, certaines
figures réapparaissaient autant celles de prêtres que
celles de nobles qui s’étaient cachés ou avaient fui les
mois auparavant. En 1795, les élections aux nouvelles
assemblées révélèrent la
réapparition de certains nobles libéraux car
c’était au tour des anciens montagnards de se retirer et
même de se cacher. Il n’était plus temps d’interdire le
culte chrétien, les églises furent rouvertes aux
assemblées des fidèles qui n’hésitaient pas
à susciter des réunions de prières sans
prêtres. Allait-on enfin vers un modus vivendi marquant la
réconciliation de fait entre les masses paysannes et la
Révolution ?
LES BIENS NATIONAUX. En
fait il fallait d’abord compter avec la vente des biens nationaux.
Qu’ils fussent d’origine nobiliaire ou anciennes
propriétés ecclésiastiques, ils formaient une
masse considérable de bâtiments et surtout de terres,
environ un cinquième du territoire, jamais le pays n’avait
disposé d’une telle mutation. Confisqués en 1793 et 1794,
ils ne furent mis en vente qu’en 1795 et surtout en 1796 après
beaucoup d’incohérences administratives et beaucoup de
gaspillage. Certes bien des paysans assoiffés de terres depuis
des générations, achetèrent de petits lots mais la
plus grande partie fut vendue en gros lots à des
spéculateurs ravis de liquider leurs masses d’assignats, on
parla en particulier de la fameuse "bande noire" de Chambéry
où une poignée de bourgeois profitèrent de leurs
richesses, de leurs connaissances et surtout de leurs positions pour
s’approprier au moins provisoirement une masse énorme de terres,
de vignes et de forêts qui ne firent qu’accentuer les
différences sociales.
LA DEFAITE DES SARDES.
Un autre élément décisif fut la poursuite de la
guerre. Si en 1794, les troupes françaises eurent fort à
faire à défendre leurs positions, l’année suivante
elles n’en passèrent pas moins à l’attaque pour s’emparer
des hauts passages du Mont-Cenis et du Petit-Saint-Bernard . Certes en
1796, le gros de l’armée suivit le général
Bonaparte dans les Alpes du sud mais il n’empêche que les cols
furent cette fois enfin franchis. Aussi bien par le nord que par le
sud, le Piémont était attaqué et envahi. Les
armées sardes battues et le roi
Victor-Amédée III réduit à
néant après l’armistice de Cherasco et l’humiliant
traité de Paris ramenant le Piémont à la triste
situation de pays occupé et vassal ( même pas jugé
digne d’être conquis et "révolutionné" comme le
Milanais). Il n’empêche: l’annexion de la Savoie à la
France était reconnue par la Maison de Savoie, les
émigrés savoyards de Turin obligés de céder
ou de fuir, les communications rétablies entre les deux versants
des Alpes. Désormais la Savoie n’était plus qu’un relais
pour les troupes circulant entre la France et l’Italie.
LA SECONDE TERREUR (septembre 1797-septembre
1799)
LA
REACTION DE GAUCHE. Le coup d’Etat de Fructidor
(en septembre 1797) marqua à Paris la volonté de la
gauche de ne pas s’en laisser compter par une éventuelle
reconquête du pouvoir par la droite. L’épuration des
assemblées des députés modérés
nouvellement élus ( en particulier ceux du Mont-Blanc)
s’accompagna d’un retour de la persécution religieuse ( des
dizaines de prêtres sont arrêtés et emmenés
en déportation, un grand nombre mourrant dans les pontons ou sur
les plages de Guyane) d’un renforcement des contraintes
révolutionnaires ( emprisonnements, contrôles,
confiscation) et surtout d’un affermissement du style
révolutionnaire ( fêtes officielles aussi bien pour
marquer le 21 janvier, anniversaire de la mort de Louis XVI pourtant
peu connu ici, que la création de la république et
l’invasion de septembre 1792 , fête des moissons, de la jeunesse,
etc, sans compter les réunions théophilanthropiques dans
les chefs-lieux, publication du premier journal républicain
savoyard, accélération des ventes de biens nationaux).
L’ŒUVRE DU DIRECTOIRE.
Tout cela ne pouvait aboutir car les élections ne cessaient de
révéler l’intensité des querelles entre
modérés et néo-jacobins d’où une
évidente instabilité. La décentralisation
renforçait les divisions locales, d’au que la suppression des
communes au profit des cantons était fort impopulaire, enfin le
commissaire du Directoire était incapable de s’imposer face
à des assemblées locales, affaiblies mais bavardes et
insolentes. Affaiblissement d’autant plus sensible que les
problèmes ne cessaient de s’aggraver. Le rétablissement
des impôts indirects fut très impopulaire car il semblait
que l’on revenait sensiblement à l’Ancien Régime. Que
dire enfin de la trop célèbre loi Jour dan instituant en
septembre 1798 la conscription , ce qui souleva immédiatement
une intense émotion d’où un peu partout des manœuvres,
des fuites, des fraudes et des attroupements, au moment même
où l’on pouvait envisager une stabilisation du régime,
l’opposition se déchaînait et l’incendie en
décembre 1798 du château de Chambéry, siège
de l’administration centrale du département fut très
caractéristique de ce délabrement politique car bien
entendu il fut impossible d’en trouver l’auteur
L’ANNEXION DE GENEVE.
L’intervention française en Suisse pour soutenir les
révoltés vaudois puis les républicains
helvétiques n’arrangea rien. Genève que le
résident français Desportes entendait réduire
depuis des années, avait bien résisté à un
sévère blocus de ses frontières mais ne put que
céder devant les pressions diplomatiques et militaires. En avril
1798, les troupes françaises pénétraient dans la
ville et un traité vint conclure à une inévitable
annexion que les Genevois ne purent qu’approuver en silence. Cette
conquête combla les jacobins savoyards qui y virent la vengeance
du sort vis à vis d’une orgueilleuse ennemie séculaire et
quel profit ne pouvait-on espérer de la conquête d’une
telle place de banques et de richesses, c’était ignorer la ruine
de la petite République depuis la Révolution et surtout
c’était réveiller l’antagonisme entre la Savoie du sud et
celle du nord puisque cette dernière pouvait dorénavant
regarder librement vers Genève, sa capitale naturelle. La
formation du département du Léman regroupant autour de la
ville de Calvin le Chablais, le Faucigny, le pays de Gex et le nord de
l’ancienne province de Genevois forma bien une véritable
entité à la fois géographique et politique mais au
détriment de l’unité ( même théorique) de la
Savoie désormais divisée en deux parties
condamnées au mieux à s’ignorer l’une l’autre.
BRUMAIRE. C’est dans ces tristes conditions que l’on
apprit en novembre 1799 le renversement du Directoire et des conseils
par un nouveau coup d’Etat, la nouvelle ne suscita aucune
émotion particulière ici car on avait pris l’habitude de
l’ impossibilité de la région à influer sur les
grands évènements et même à ne plus
espérer grand chose, tant les désillusions étaient
universelles.
Retour
SOUS LE PREMIER EMPIRE
La puissance du gouvernement parisien donna des moyens
inégalés aux autorités locales, d’où le
sentiment d’une efficacité et d’une possibilité accrue,
ce qui fut très sensible dans le domaine des travaux publics (
construction de routes et de ponts) et des monuments (
réparations des cathédrales, casernes en particulier
celle la grande caserne d’infanterie de Chambéry –l’actuel
carré Curial) et la reconstruction du château de la
même ville) . Certes l’Etat avait plus de projets que d’argent et
la plupart du temps, les idées restèrent lettres mortes
dans les cartons, d’autant que généralement les ministres
harcelaient les maires et les conseillers généraux pour
fournir les paiements nécessaires. Ce décalage explique
sans doute la modération et la discrétion des
députés savoyards à Paris fort soucieux de plaire
au gouvernement en lui "soutirant" le plus de fonds possibles.
LES GRANDES REALISATIONS
NAPOLEONIENNES.
LES ROUTES TRANSALPINES.
La gloire du régime fut le rétablissement et le
renforcement de la circulation transalpine.
LE SIMPLON. Dès
1800 et son retour de Marengo le premier Consul envisagea
l’aménagement d’une route directe reliant Paris à Milan
par Genève, la rive sud du Léman, le Valais et le col du
Simplon. Les travaux ne furent pas faciles car la pente lombarde du col
était fort raide et nécessita de multiples ponts et
tunnels, mais il fallut aussi percer la corniche de Meillerie en
Chablais, aménager la route du col de la Faucille, construire un
nouveau pont sur l’Arve à Carouge et enfin forcer les
Valaisans réticents et peu fortunés (d’où la
restauration de l’indépendance complète du Valais en 1802
et au contraire son annexion en 1810 sous l’Empire). Ceci fut l’œuvre
de l’ingénieur bugiste Céard ( déjà connu
à Versoix sous l’Ancien régime) et plus
généralement des Milanais d’autant plus
intéressés que Bonaparte leur avait cédé le
Novarais leur assurant ainsi toute la partie orientale de la route. Il
n’empêche que ce chantier fut fort long, fort coûteux et
n’assura des facilités de transport qu’après 1810 au
moment où la conjoncture économique devenait moins
facile.
LE MONT-CENIS. Plus
efficace fut la route de la Maurienne et du Mont-Cenis, soutenue par
les milieux d’affaires lyonnais et turinois et accessoirement par la
Savoie qui voyait plus l’avantage du transit que de celui du commerce
de la soie et du coton. Néanmoins l’impulsion essentielle arriva
ici d’un haut-fonctionnaire savoyard: Emmanuel
Cretet devenu directeur des routes avant de finir ministre de
l’intérieur et qui appuya fortement le projet du Mont-Cenis
auquel avait déjà pensé le gouvernement sarde
quelques années auparavant. Ici aussi les Italiens
assurèrent l’essentiel des travaux sous la direction d’un grand
ingénieur grenoblois, Dausse, le passage fut assuré par
une armée de cantonniers mais aussi et surtout par une
communauté de moines restaurée sur le plateau même
du Mont-Cenis. En 1805, le chantier était terminé et le
passage possible toute l’année en voiture sans avoir besoin de
démonter. Par la suite le trafic ne cessa de croître, on
acheva vaille que vaille la route de Maurienne pour le plus grand
profit de tout un monde d’aubergistes, de relais de poste, de
voituriers et de muletiers, on commença un début de
"contournement" de Chambéry et l’on acheva en huit ans le
creusement du tunnel des Echelles permettant d’éviter le
célèbre défilé de la Crotte. La
réussite routière était manifeste,
dorénavant on pouvait traverser les Alpes sans avoir à
démonter les voitures. Les ingénieurs piémontais
avaient fait la preuve de leur compétence pour construite des
routes à lacets et pour le percement des premiers tunnels (ainsi
celui des Echelles
percé de 1808 à 1813) , enfin ils amenèrent avec
eux toute une foule d’ouvriers piémontais (essentiellement du
Biellese et du Novarais) qui allaient dominer pour un siècle et
demi les travaux publics en Savoie. Qui en profita le plus ? la soierie
lyonnaise plus que les cotonnades genevoises, la manufacture d’Annecy
plus que les ateliers chambériens, Milan plus que Turin, la
Maurienne plus que le Chablais.
LE COTON. Tout ceci
remit la Savoie dans le réseau routier international non sans
profit puisque la soie suscita une usine à Chambéry ( la
Calamine), quant au coton alors en plein succès, il permit la
création d’une grand filature à Annecy ( à
l’instigation du savoyard lyonnais Duport) et de toute une série
d’ateliers de tissages dans le Genevois pour le plus grand avantage des
industriels de Genève mais aussi pour la plus grande chance de
la Savoie qui n’avait jamais disposé d’un tel réseau
industriel.
LES MINES. Depuis le
voyage du savant géologue Dolomieu, on prit conscience de
l’intérêt des mines de Savoie, ce qui explique la
restauration des mines de plomb argentifère de Peisey en Tarentaise devenu le centre d’un
arrondissement minier confié à la nouvelle Ecole
nationale des mines installée à Moûtiers sous la
direction du saxon Schreiber. 2000 ouvriers, une douzaine
d’élèves-ingénieurs, 500 kg d’argent et 2.000
quintaux de plomb par an dès 1805, que ne pouvait-on
espérer d’une telle croissance ? Certes le gisement semblait
s’appauvrir mais on sut le renouveler par celui de la Plagne sur
l’autre versant de la montagne, bien sûr on manqua de bois dans
la haute vallée;, mais celui de la vallée d’ Arly
justifia le transfert de la fonderie à l’Hôpital-Conflans.
LE TOURISME. Enfin on
voyait apparaître le grand tourisme: sous l’influence de Rousseau
qui avait fait connaître la région de
Chambéry-Annecy ainsi que le lac de Genève et à la
suite du savant genevois Bénédict de Saussure qui
avait révélé la gloire du Mont-Blanc et le charme
de la vallée de Chamonix, les voyageurs prennent maintenant
plaisir à s’arrêter en Savoie pour en goûter les
charmes des montagnes et de leurs habitants symboles de vertus et de
tranquillité. Cependant le meilleur attrait est encore celui des
eaux thermales, Saint-Gervais, Evian, La Caille, Amphion tirent
naturellement leur succès des voisins genevois mais le plus
grand succès est encore à Aix dont les eaux enfin
analysées permettent toutes les guérisons, ce qui
explique la venue ici de toute la famille impériale (Pauline
Bonaparte suivie de sa mère et de son oncle Fesch en 1808,
Joséphine et Hortense en 1810, de nouveau Hortense en 1811,
Pauline, sa mère, son oncle et sa belle-sœur Julie Clary en
1812, Hortense en 1813, Marie-Louise en 1814 et enfin Hortense dans une
dernière visite en 1815) suivie du tout Paris ( Talma, Mme de
Rémusat, Me de Staël etc). La Savoie profitait largement de
l’élargissement des horizons de ses habitants comme de ceux de
l’intelligentsia nationale.
LES NOUVELLES FRONTIERES
L’urgence de la paix amena la signature de
l’aberrant traité de mai 1814 partageant la Savoie du sud entre
la France ( qui conservait ainsi un fragile morceau de ses
conquêtes de la Révolution et de l’Empire) et le
Piémont dont le roi Victor-Emmanuel I° venait de reprendre
possession. Ce partage artificiel posa des problèmes de
frontières aussi insolubles qu’universels.
La Savoie du nord restait non attribuée ce
qui obligea les Genevois et les Suisses à s’interroger sur les
avantages (et finalement les inconvénients) de l’annexion d’ un
tel ensemble. On vit ainsi un peu partout s’opposer les partisans de la
France, ceux de la Maison de Savoie et enfin ceux de la Suisse,
divisions qui facilitèrent les désordres, les querelles
et bien entendu les intérêts des Autrichiens qui
occupaient et pillaient à plaisir la province. Victor-Emmanuel I° profita néanmoins
des incertitudes de l’été 1814 pour réoccuper le
Chablais et le Faucigny
Le Congrès de Vienne ne régla rien
sinon les intérêts de Genève dont le
représentant Charles Pictet de Rochemont
obtint non sans difficulté ni malice une partie du pays de Gex
pour relier l’ancien chef-lieu du Léman à la nouvelle
confédération suisse et une partie de la banlieue
savoyarde (dont Carouge) dans la promesse de faire couvrir de la
neutralité helvétique la Savoie du nord où
devaient entrer les troupes fédérales en cas d’invasion
(française) de la Savoie.
Au printemps 1815 du fait de la guerre
relancée suite au retour de Napoléon, le
général Suchet avait bien essayé de prendre les
devants pour attaquer sur les Alpes au même moment que celui
choisi par Napoléon en Belgique mais il avait dû reculer
précipitamment et les Autrichiens avaient de nouveau envahi la
Savoie en même temps que les Piémontais s’emparaient de
Grenoble, ce qui ne fit qu’accroître les exigences de
Victor-Emmanuel I° pour faire valoir ses droits sur toute la
Savoie.
LA FIN DE LA SAVOIE FRANCAISE. Enfin le
traité du 20 novembre 1815 restituait toute la Savoie à
son roi légitime clôturant ainsi vingt trois ans de
régime français. Sur le moment la tendance
générale fut de se réjouir de ce retour à
la "petite patrie" symbole de calme et d’isolement, vivre entre soi
avec "ses" rois, loin des grands Etats symboles de fiscalité, de
centralisation et de conscription. En fait indépendamment de ces
illusions, on ne se rendait pas compte de l’inexorabilité de
l’histoire et des changements subis depuis une
génération. La Savoie sortait affaiblie par les
occupations militaires autrichiennes et surtout par les innombrables
jeunes morts au loin dans la confusion des batailles ou des
hôpitaux militaires, mais du fait de la croissance naturelle,
cette perte quantitative ne fut la plus traumatisante et il fallut
surtout compter avec l’exil d’une bonne partie de l’élite qui
compromise dans le régime français, choisit de
s’établir en France, perte d’autant plus lourde que la province
n’avait pas besoin de voir son élite déjà
réduite naturellement, s’appauvrir encore de la perte de ses
éléments les plus ouverts et souvent les plus dynamiques.
L’Empire n’a laissé que de mauvais souvenirs.
Le clergé a dénoncé la persécution
gouvernementale après l’arrestation du pape, l’opinion n’a
conservé que le souvenir de la conscription tout comme
Genève a assimilé la période à un temps de
pauvreté et de déclin, on se moque des rêves
monumentaux de l’empereur pour le Mont-Cenis en 1813 et de
l’inquisition gouvernementale qui recensait la filles nobles à
marier. Ces avis sont fort injustes car l’Empire permis à la
Savoie (et à Genève) de se remettre des troubles
révolutionnaires, le rétablissement économique et
monétaire a permis l’accroissement des revenus dans toutes les
classes sociales et dorénavant la Savoie peut profiter
pleinement d’un trafic franco-italien qui ne fait que
s’accroître. Les intellectuels locaux ont
révélé au grand public ce qu’était la
Savoie qui désormais mieux connue, peut recevoir plus facilement
des foules de touristes. Finalement, une nouvelle étape de
l’ouverture du pays au monde avait été franchie et
même si la conjoncture de 1814-1815 était mauvaise, la
Savoie n’avait pas moins profité pleinement du régime
napoléonien.
Retour
LA PERIODE SARDE : de 1815 à 1860
Les historiens hésitent sur
l’appellation de ce quasi demi-siècle où le duché
retourna à la Maison de Savoie et au Royaume de Sardaigne.
Restauration ? oui ! indéniablement jusqu’en
1830 on eut l’impression d’un retour au pire à l’Ancien
Régime et au mieux d’une obsession pour gommer l’héritage
de la Révolution et de l’Empire.
Cependant dès 1835, le roi Charles-Albert se donne l’image d’un prince
moderne sensible à l’idée d’être un nouveau petit
Napoléon. Enfin après le choc de la "Révolution"
et de la guerre de 1849, la Savoie ne vit plus dans le souvenir du
passé même proche, mais au contraire tournée vers
l’avenir, elle s’interroge alors sur son évolution politique.
Les historiens piémontais ne connaissent pas
les références à la Sardaigne, jugeant que le
Piémont est bien plus important et intéressant et que les
Savoyards en l’oubliant, ne veulent toujours pas affronter la
réalité ( ou plutôt le souvenir) d’une Savoie qui
hésita puis refusa l’accouplement avec sa "sœur d’outre-mont" au
profit de sa réunion à la "Grande nation
française".
LA RESTAURATION (1815-1831)
LES SOUVERAINS.
Victor-Emmanuel I° et Charles-Félix sont deux souverains du
XVIII° siècle, égarés dans la période
romantique et affrontés à des questions nouvelles comme
l’anti-libéralisme, les prémices de la révolution
industrielle et du nationalisme.
Victor-Emmanuel° (1821-1831) ombrageux et têtu autant dans
ses affections que dans ses refus, dominé par sa femme
l’énergique Marie-Thérèse d’Este-Modène,
détestait ses beaux-frères français (Louis XVIII
et le futur Charles X ) dont il ne cessait de critiquer
l’impérialisme et le double-jeu politique , tout en
dénonçant d’un autre côté l’ambition
italienne de l’Autriche. Jaloux de son autorité, il n’admit
jamais d’avoir à ses côtés des ministres tout
puissants ( d’où le renvoi en 1817 du ministre Vallaise et une
grande méfiance vis à vis de Joseph de Maistre). Il ne
vint qu’une seule fois en 1816 en Savoie et ne semble pas avoir eu
jamais de grands intérêts matériels ou artistiques.
Charles-Félix° (1821-1831) fut un allié plus
fidèle de l’Autriche d’où une politique extérieure
très calme et dans l’ensemble une politique
générale négative entièrement
centrée sur le statu quo. Arrivé malgré lui au
pouvoir auquel il n’était pas du tout préparé, le
souverain ne manquait pas de goûts culturels ( fondateur du
musée égyptien de Turin, passionné de
théâtre ) ni de bonté d’âme ( il pardonna
à son cousin Charles-Albert son rôle libéral de
1821 et le garda comme héritier) ce qui n’empêche pas les
Piémontais de l’appeler " Carlo Feroce", petite vengeance contre
le désintérêt manifeste du souverain pour le
Piémont au détriment des provinces
périphériques.
LA REACTION:
Peu de provinces ont été autant
traumatisées que la Savoie retrouvant après 23 ans de
régime français, un souverain qui fit sa gloire dans le
refus systématique de reconnaître le moindre
héritage de la Révolution et de l’Empire. Certes on se
moqua dans toutes les chancelleries de ce "Roi des Marmottes" qui avait
dit avoir dormi en Sardaigne durant toutes ces fâcheuses
années passées et qui, en 1814 sitôt après
son retour avait rayé d’un trait de plume tout ce qui avait
été décidé depuis la Révolution de
1792
En fait le souverain dut rapidement se faire une
raison, se contentant de la sauvegarde de quelques apparences (en
particulier à la cour) il fallut se résigner sur les
hommes ( on ne pouvait oublier les compétences d’un grand nombre
de personnes en pleine force de l’âge et ralliées souvent
par raison à Napoléon) et ensuite sur les situations car
il était impossible de revenir en arrière sur la question
des biens nationaux, de ne pas tenir compte de tous les contrats
passés sous le régime français et même de
punir les anciens responsables jacobins ou bonapartistes( il y en avait
tant!)
On se félicita de la modération
policière de la restauration, il y eut en effet ici peu
d’emprisonnements, mais combien de censures pour limiter le plus
possible les relations avec l’extérieur surtout avec la France ,
combien de mises à l’écart, d’étouffements, de
petites vexations et de mesquineries administratives pour une foule de
fonctionnaires, d’anciens notables ou d’anciens membres de la Grande
Armée !
LE GOUVERNEMENT DE LA RESTAURATION
LES AMBIGUITES DU REGIME.
Contrairement à ses promesses et aux illusions de ses partisans,
Victor-Emmanuel I° conserva la centralisation, les impôts et
la conscription. En fait le système de la Restauration est
composé d’une cour crispée sur le protocole du
siècle précédent et d’un autre côté
d’une armée d’autant plus mal gérée qu’elle
hésite entre le modèle prussien et celui de la France,
d’ailleurs sans grand budget que pourrait elle faire puisqu’il n’y a
rien à espérer entre une Autriche à la fois
amicale et dangereuse et une France dont on ne cesse de se
méfier ? enfin n’oublions pas non plus le poids d’une
administration paperassière et servile aussi bien au niveau des
ministères de Turin que des services provinciaux.
LES CARABINIERS: Bien
sûr l’efficacité gouvernementale ne peut se comprendre
sans les carabiniers, pure création de l’époque.
Gendarmes mais aussi surveillants politiques et administratifs ne
dépendant que des seuls ministres et gouverneurs et
répartis tous les chefs-lieux de mandements, ils font
régner l’ordre plus par la menace que par leurs propres forces.
LA CENSURE. Le grand
souci du gouvernement est bien sûr de briser tout groupe de
pression ou de résistance d’où le refus de tout
groupement même privé susceptible de favoriser des
discussions et des remarques ( et bien sur d’intolérables
critiques) , on surveille ainsi les salons et les rares
sociétés savantes ( la modeste et timide
Société académique de Savoie "pensée" en
1820 ne sera ainsi vraiment reconnue que sept ans plus tard )
LE PERSONNEL DU REGIME.
Un bon moyen de se faire obéir des services est
l’instabilité et le brassage du personnel sans qu’il nous soit
possible de distinguer les mutations proposées de celles
imposées ou bien sûr de celles demandées,
d’où les plaintes des Savoyards d’être envahis de
fonctionnaires ou de juges piémontais, critiques
justifiées d’un côté mais souvent mal
fondées puisque cela n’empêchait pas les qualités
individuelles, ce n’était pas d’ailleurs pas une
nouveauté et enfin cela ne gênait pas la vie quotidienne
puisque ces personnes parlaient français ( comme la plupart des
bourgeois piémontais peut-être pas naturellement mais
assez bien pour être efficaces )
Du sous-intendant provincial au gouverneur régional et de
là au ministre turinois, les instructions viennent du haut en
bas et seuls les renseignements ou requêtes circulent en sens
inverse, la méthode n’était pas nouvelle mais elle
était de moins en supportable pour les notables et les conseils
communaux (nommés et sans pouvoir face aux puissants
secrétaires eux aussi nommés )..
LE CLERICALISME
Un tel état d’esprit réactionnaire ne
pouvait manquer de pratiquer un cléricalisme exacerbé
tant il semblait que le catholicisme était le fondement de ce
retour en arrière et de cet autoritarisme à la fois
mesquin et paternaliste.
CENSURE ET REACTION.
Comme il fallait s’y attendre, on revint sur les principes de la
Révolution en supprimant la liberté religieuse, le droit
à l’athéisme, la liberté de culte, la
franc-maçonnerie Le clergé, qui n’avait pas oublié
la persécution des années 1793-99 et peu
apprécié celle ( toute relative) des années
1810-1814, applaudit à ces mesures mais à y regarder de
plus près, les ambiguïtés n’en demeuraient pas
moins.
On ne revint pas sur la vente des biens d’Eglise et
si les pressions du clergé pour leur restitution furent bien
réelles avec force menaces et chantages sur les
"acheteurs-voleurs" ( ce qui explique aisément
l’anticléricalisme de la génération suivante),
jamais les autorités ne s’y associèrent, contribuant au
contraire à la diminution progressive de ces manifestations.
L’Eglise retrouva sa puissance mais non son
indépendance. Le clergé n’eut guère de
liberté et pas plus de relation avec Rome que sous l’Empire
français. Certes il fut favorisé mais en fait tous les
nouveaux avantages matériels furent mis à la charge des
autorités locales et les querelles qui s’en suivirent souvent,
ne firent qu’avantager la puissance de l’Etat.
EVEQUES ET PRETRES. On
recréa les évêchés d’antan, en 1822 Annecy
retrouva son évêque puis en 1825 ce fut au tour des
évêchés de Moûtiers et de Saint-Jean
d’être restaurés. Un peu partout on créa des petits
séminaires et il est vrai que le nombre des ordinations augmenta
assez pour que l’effectif clérical apparaisse comme suffisant
dès 1825-1830. Rassurés matériellement (quant
à leurs traitements) et juridiquement (vis à vis des
syndics communaux) les prêtres purent afficher sans limite leur
rigorisme. Persuadés d’être les seuls garants de la foi et
de la morale, ils affichèrent une sévérité
de principes qui les amena parfois à exclure des sacrements une
masse de paroissiens au point que les évêques durent
calmer ces excès et que le P. Favre, grand missionnaire local,
consacra toute son énergie à prêcher une religion
plus sereine et plus ouverte.
COUVENTS ET EGLISES. En
fait les deux réalisations les plus durables de cette politique
furent la reconstitution progressive d’un réseau monastique (
une vingtaine d’ordres et congrégations dont les deux tiers de
création récente, soit environ une centaine de
communautés dont la plus célèbre est
évidemment celle des cisterciens d’Hautecombe installés
en 1826. ) mais aussi la reconstruction de près de deux cents
églises surtout dans l’avant-pays et dans les préalpes (
où la population avait le plus augmenté et où les
édifices du culte remontant pour la plupart au Moyen-Age,
n’avaient donc pas connu la reconstruction baroque des XVII° et
XVIII° siècles et avaient été fort
maltraités sous la Révolution). On a beaucoup
discuté sur l’originalité du classicisme de ces nouveaux
édifices souvent parlé du "néoclassicisme
sarde" ce que la plupart des chercheurs actuels contestent. Il
n’empêche que cette gigantesque entreprise a été
impulsée autoritairement par des évêques ravis de
manifester ainsi leur pouvoir à des communes et des
communautés qui se ruinèrent presque en corvées,
en ventes de communaux et en emprunts pour construire des
églises juste achevées au moment où la population
commençait à décliner.
LA REPRESSION ANTI-LIBERALE
LA DEFAITE LIBERALE.
Pour avoir été discret et être encore mal
étudié en Savoie, le libéralisme n’en exista pas
moins dans une bourgeoisie rabaissée dans ses positions (
perdant généralement ses positions acquises avant 1815),
bloquée dans ses ambitions, tracassée dans sa vie
quotidienne et condamnée au silence. Certaines victimes sont
bien connues, le général Dessaix,
quoique français mais resté en Chablais, continuellement
traqué, surveillé et persécuté, le
général Guillet emprisonné jusqu’à sa mort
au fort de Fenestrelle ( ce grand escroc pouvait-il espérer
d’ailleurs autre chose ? ), l’ex-secrétaire
général secrétaire Palluel .rabaissé de la
préfecture de Chambéry à un modeste bureau
à Conflans etc. Pleins de juristes humiliés et amers, les
"bureaux" rejoignaient dans leur critique les états-majors d’une
armée déboussolée et chacun d’espérer une
vengeance du sort aussi rapide que possible.
LA REVOLUTION DE 1821.
On crut la trouver en 1821 à la suite des révolutions de
Madrid et de Naples où les souverains locaux avaient dû
sous la pression populaire concéder enfin des constitutions,
d’où des intrigues dans les salons turinois, des troubles
surtout estudiantins dans la capitale et enfin une mutinerie dans la
grande forteresse d’Alexandrie. Il y avait loin de cette fièvre
à une révolution, il n’empêche que Victor-Emmanuel
I° se refusa à toute concession et préféra
abdiquer plutôt que céder, rejoignant là une
vieille tradition des princes de la Maison de Savoie de ne jamais
s’accrocher au trône et de le quitter en cas
d’incompatibilité morale ou politique.
Le pauvre roi incapable jusqu’au bout n’avait pas attendu le retour de
son frère Charles-Félix alors en voyage à
Modène et seconde faute dans sa précipitation, il avait
confié la régence à son cousin le jeune
Charles-Albert de Savoie-Carignan tout juste âgé d’une
vingtaine d’années et très lié aux chefs
mêmes des conjurés, d’où la décision du
jeune prince d’accorder la constitution tant espérée par
les conjurés et de créer des "juntes" à la fois
administratives et politiques. Un peu partout on vit ainsi se
réveiller les bourgeoisies enthousiastes dans une telle
conjoncture mais finalement bien imprudentes puisqu’en même temps
le nouveau souverain récusait les initiatives du "régent"
et pour mater l’indiscipline et le désordre ( tout à fait
virtuel) faisait appel aux Autrichiens ravis de l’occasion. Bien
sûr ceux-ci n’eurent aucune peine à écraser les
troupes restées fidèles au programme libéral alors
qu’en Savoie le gouverneur Andezeno bloquait le courrier pour mieux
voir venir le sort et finalement apparaître comme celui qui avait
laissé hors de l"aventure" un duché de Savoie
décidément fidèle à la monarchie , ce qui
ravit les historiens conservateurs de la province alors que les
Piémontais et les progressistes insistent sur le nombre des
personnes compromises et finalement punies.
LE REGNE DE CHARLES-FELIX.
Il s’en suivit une décennie de reprise en main, de censure, de
surveillance tatillonne, de serments obligatoires, de sermons
moralisateurs. En apparence rien de bien méchant d’autant que le
roi Charles-Félix détestait le Piémont et
affichait ouvertement sa faveur aux provinces
périphériques et en particulier à la Savoie qu’il
visitait régulièrement et où il se
caractérisait par sa bonhomie et son amour des arts (
d’où la reconstruction de l’abbaye d’Hautecombe, et
l’édification d’un théâtre à Chambéry
(ce qui lui vaudra plus tard une colonne à Bonneville et un
obélisque à Chambéry), à remarquer enfin la
préférence du gouvernement pour les expulsions
plutôt que pour les emprisonnements. Même loin des
excès réactionnaires des rois de Naples et d’Espagne, le
royaume sarde n’en demeurait pas moins fort en retrait du
progrès, même par rapport à la France
réactionnaire de Charles X.
LE REGNE DE CHARLES-ALBERT
(1831-1848) La mort de Charles-Félix en 1831 provoqua
l’extinction de la branche aînée de la famille de Savoie
et l’arrivée au trône d’un jeune homme brillant et
dynamique qui sembla révéler une mutation décisive
dans la conjoncture d’autant que la révolution française
de 1830 avait démontré la possibilité
d’évolutions nouvelles aussi rapides qu’imprévues. En
dépit des hésitations du nouveau roi, il devint
évident que l’on ne pouvait échapper ni aux
réformes ni à la modernisation du pays mais justement
jusqu’où pouvait-on, jusqu’où devait-on aller ?
LA DERNIERE VAGUE DE REACTION (1831-1835).
Les libéraux purent croire que la jeunesse et
le passé du nouveau roi allaient provoquer des changements
immédiats et décisifs, ce qui était inconcevable
pour un garçon échaudé par son aventure de 1821 et
les conséquences de cette dernière. Charles-Albert ne
revint donc pas sur la politique de ses prédécesseurs et
ne tint aucun compte de l’appel du jeune Génois Mazzini
lui demandant de prendre comme "Italien" ses responsabilités
devant l’histoire aussi bien pour créer un régime
libéral que pour lancer la renaissance d’une Italie
unifiée, Or le royaume entier vibrait, comme le prouvait
l’évident anticléricalisme de la jeunesse
chambérienne excitée en janvier 1832 par le prêche
fort réactionnaire d’un missionnaire français et en mai
1833 suite aux cérémonies du jubilé. On s’en
était tout juste remis qu’Alexandrie, Turin et Chambéry
furent secouées en juin 1833 par un complot militaire
méchamment réprimé ( 14 condamnations à
mort , 37 aux galères et 2100 à l’exil ).. Rien
n’était fini cependant car en février 1834, les
Mazziniens lançaient une double attaque contre la Savoie depuis
Genève vers Saint-Julien au nord et depuis le Dauphiné
sur les Echelles au sud. Certes le calme revint mais au prix d’une
sévérité dont on n’avait pas l’habitude ici
d’autant que l’on se méfiait toujours davantage d’une France
maintenant libérale donc dangereuse et que l’on affichait une
amitié qui n’avait jamais été aussi forte envers
l’Autriche.
L’OUVERTURE AUX REFORMES ( 1835-1847).
En fait Charles-Albert ne pouvait se résoudre
à une telle politique négative, son orgueil ne pouvait
manquer de le pousser à être un nouveau Napoléon et
à défaut d’être conquérant autant être
réformateur ce qui correspondait d’ailleurs à la
tradition de la famille de Savoie.
UN ART NOUVEAU. En
effet, comme son cousin et voisin Louis-Philippe, complexé
d’être issu d’une branche cadette, il entendit marquer la culture
de son époque en s’intéressant aux racines de sa famille
et de la dynastie. Il refit presque entièrement le palais royal
de Turin, il inaugura une académie des beaux arts à
laquelle il donna son nom, il dota la saint Suaire de monuments
à la gloire de quelques uns de ses grands
prédécesseurs, il créa une académie de
médecine, la bibliothèque royale, l’armurerie royale, la
"Deputazione di storia patria", la "junte pour les antiquités et
les beaux arts", enfin il restaura l’abbaye de Saint-Michel de la Cluse
où il amena les corps de ses ancêtres
médiévaux pour en faire "la nouvelle "Hautecombe" de la
nouvelle dynastie. Il y avait bien longtemps que I’on n’avait pas eu
une telle activité culturelle et même Chambéry se
prenait au jeu avec le peintre Vicario décorant en
néogothique la chapelle du château puis la
cathédrale avant de poursuivre une intense activité dans
toute la Savoie.
LES ŒUVRES SOCIALES.
Socialement, l’Etat s’intéressa aux hôpitaux , aux œuvres
, aux écoles populaires, finançant le plus possible les
institutions existantes, et favorisant les initiatives privée.
Ainsi: en 1833 était créé l’immense hôpital
de l’abbé Cottolengo à Turin. De son côté,
Chambéry recevait sa première école de jeunes
sourds et sa première salle d’asile pour les tout-petits mais
aussi une caisse d’épargne et une "maison de repos". En 1839, la
loi avait envisagé une école primaire dans chaque commune
mais il fallut encore six années pour que des écoles
provinciales de méthode parviennent à créer un
corps valable d’instituteurs. et en quinze ans le nombre des
écoles doubla, 79.000 enfants fréquentant 1900
établissements en 1860. La Savoie rattrapait son retard surtout
l’avant-pays à la fois très peuplé et très
ignorant.
LES DEBUTS DE LA REVOLUTION
INDUSTRIELLE. Il s’agit aussi de moderniser enfin le pays,
d’où une active politique pour de nouvelles voies de
communications, la Savoie peut ainsi s’enorgueillir du Pont de la
Caille aussi prestigieux par le défilé enjambé que
par la résistance de ses "fils" métalliques. La route de
Genève est transférée de Rumilly à Annecy
qui devient un important centre routier, enfin la route de Maurienne
.est modernisée et d’autant mieux reliée à
Chambéry grâce au nouveau pont royal. Si les voies
ferrées apparaissent au début des années 40 en
Piémont, on y pense seulement en Savoie où on se limite
à une relation par bateaux à vapeur entre Lyon et le lac
du Bourget lui-même relié à Chambéry par un
chemin de fer "hippomobile". La grande industrie émerge enfin
surtout en Piémont bien sûr mais aussi en Savoie, à
Annecy toute fière de posséder deux des plus grandes
entreprises du royaume, une de métallurgie avec Frérejean
grand maître des forges de Cran fabriquant avec 400 ouvriers un
sixième du fer sarde et l’autre textile avec l’immense
manufacture de Laeuffer, le successeur de Duport qui dirige
près de 4.000 ouvriers d’Annecy à Faverges et à
Ponte-Canavese près d’Ivrée produisant près d’un
cinquième de toute la production cotonnière du royaume. .
Allait-on enfin décoller ? hélas, la récession
arriva dès 1845-46 et la déception fut à la
hauteur des espoirs précédents.
MODERNISATION ET
CENTRALISATION. Néanmoins le royaume ne cessait
d’évoluer, le roi imprimait une allure soutenue aux
réformes revenant peu à peu à l’esprit des
institutions napoléoniennes, Dès 1831, un Conseil d’Etat
était créé en 1837, doté deux ans plus tard
d’un code pénal et en 1842 d’un code de commerce. Le code civil
était réformé, l’université ouverte aux
sciences, les écoles techniques multipliées ( ainsi
l’école de dessin linéaire de Chambéry,
l’école d’horlogerie de Cluses, l’école de commerce et
d’industrie de La Motte-Servolex), les intellectuels étaient
invités en grande pompe à un premier congrès
à Gènes tout comme les produits industriels à une
grande exposition à Turin.. Enfin en 1847 une cour suprême
de justice (dite en fait "de révision") était
créée dans la capitale rendant obsolètes les
anciens sénats de Chambéry, Turin et Nice réduits
à n’être plus que de simples cours d’appel. Enfin comble
de progrès, les petites provinces locales étaient
regroupées en "divisions" équivalant aux
départements français, la Savoie disparaissait alors au
profit de deux divisions, une à Annecy (ravie de cette
promotion) l ’autre à Chambéry furieuse de ne garder
qu’un gouverneur symbolique, mais la bourgeoisie exulta de pouvoir
enfin élire des conseils de province et de divisions rappelant
les conseils généraux et d’arrondissements du
système français.
LA SAVOIE SARDE
Durant une génération, la province
donna l’aspect d’une région stable échappant pour la plus
grande joie des conservateurs aux troubles ou au dangers du reste de
l’Europe alors que les libéraux ne cessaient de dénoncer
un archaïsme dangereux pour l’avenir et le risque d’un retard
irrémédiable.
LA SURPOPULATION. La
population ne cesse de s’accroître du fait d’une
exubérante natalité ( 30 °/°° contre une
mortalité de 25-26 °/°°) passant ainsi de 450.000
habitants en 1806 à 550.000 en 1848, maximum qui frappa les
contemporains voyant avec inquiétude les marais des fonds de
vallées, les forêts des pentes et les alpages des sommets
disparaître au profit des cultures hissées à des
altitudes impensables ( jusqu’à 2000-2500 m) au détriment
donc de l’énergie et de l’élevage pourtant si
nécessaires. D'après un recensement général
du Royaume de avoie-Piémont-Sardaigne effectué en 1838,
on apprend que le nombre des habitants était de 4.125.740 dont
273.000 seulement dans les villes. L'âge moyen des hommes
était de 29 ans, celui des femmes de 24,5. Le taux de
natalité s'élevait à 35,33/1000 ; celui de la
mortalité de 29,15/1000, 50% des décès survenaient
avant l'âge de 15 ans. La durée moyenne de vie
était de 32,6 années.
L’EMIGRATION.
L’émigration se renforçait au point que le Savoyard
était devenu l’image même du migrant Certes le
départ d’une partie importante de la jeunesse .vers la France et
de plus en plus vers Paris chagrinait les familles et inquiétait
le clergé mais n’était-ce pas le meilleur moyen pour
éviter une surpopulation inquiétante et aussi un bon
moyen pour rapporter à la maison un numéraire qui faisait
toujours gravement défaut? Bien sûr, les villes
françaises étaient bien incapables d’assurer du travail
définitif à ces jeunes errants néanmoins les
séjours se faisaient de plus en plus longs et beaucoup ne
revenaient pas ( ce n’est qu’après 1860 que la révolution
industrielle et le progrès des chemins de fer allaient
systématiser cette émigration définitive)
Même si le "gentil petit ramoneur" ou "l’honnête
manœuvrier" étaient devenus des mythes, on ne pouvait ignorer la
foule des marchands et des colporteurs de Haute Maurienne ou de
Tarentaise ou les maçons de Samoens, ou les servantes du
Petit-Bugey . Ne disait-on pas que près de 10% des Savoyards
quittaient chaque année la province et que localement la
proportion pouvait être parfois le double ? et n’estimait-on pas
que si 10.000 Savoyards résidaient à Paris sous le
Premier Empire, ils étaient plus de 40.000 sous le Second. ?
LE TOURISME ROMANTIQUE.
L’immigration touristique ne pouvait compenser l’émigration
populaire, cependant la Savoie devenait de plus en plus un lieu
d’attraction comme le prouvaient les innombrables récits de
voyage qui lui étaient consacrés. Aix et plus
secondairement Evian voyaient la célébrité de
leurs eaux s’étendre dans toute l’Europe occidentale, non
seulement on y prétendait guérir une foule de maladies,
mais la mondanité aidant, les curistes ( Lamartine, Balzac,
Alexandre Dumas, la princesse de Salms) y affichaient dorénavant
leur joie de vivre et leur goût du jeu.
Depuis de Saussure, le Mont-Blanc est accessible, surtout à
partir de Genève devenu le centre obligé du tourisme
britannique et les Anglais encombrent dorénavant Chamonix dont
les guides sont connus maintenant dans toute l’Europe.( la compagnie
des guides est de 1821 ) L’alpinisme est passé ainsi dans les
mœurs touristiques mais il ne s’étendra au reste des Alpes
qu’après 1860. En tous les cas, les Alpes sont maintenant le
domaine des Anglais comme le prouvent l’abondance des tableaux alpins
du peintre Turner et l’enthousiasme de l’esthète et photographe
John Ruskin pour les Alpes "cathédrales de la terre !"
A pied ( comme les élèves de Topffer) ou en voiture (
comme Stendhal), favorables à
cette région abritée des vices urbains ou très
réservés à ce foyer de la réaction ( comme George Sand) , les touristes sillonnent donc la
Savoie souvent sans rencontrer les habitants mais qu’importe! la
montagne attire de plus en plus.
LA LITTERATURE SAVOYARDE.
Même conçus sur le même modèle, les
récits de voyage compensent heureusement la faible
littérature locale. Joseph et Xavier de Maistre sont
d’authentiques Savoyards mais leurs œuvres n’ont aucun lien avec le
duché. Par ses "Méditations poétiques", Lamartine a fait connaître au monde le
lac du Bourget et dans un genre différent Eugène
Sue celui d’Annecy, mais en soi la Savoie ne peut alors
s’enorgueillir que du romantique Jean-Pierre
Veyrat célèbre par son passage du
libéralisme révolutionnaire à l’exaltation
conservatrice de la patrie et de son roi, mais surtout par ses vues sur
les ruines d’Hautecombe dans la "Station poétique".
VERS UNE NOUVELLE SOCIETE.
En apparence, la Savoie ne bouge guère en cette première
moitié du XIX° siècle: pays rural sans grande
élite, catholique et conservateur, mais en fait ne nous y
trompons pas. on voit s’imposer une forte minorité de bons
paysans enrichis par les biens nationaux et fortifiés par le
progrès du marché, d’un autre côté
apparaît un certain prolétariat certes très rural
encore mais néanmoins de plus en plus conscient de sa situation
( au point d’alerter l’évêque d’Annecy Mgr Rendu qui
lançe en 1845 un célèbre appel pour le soulagement
de la misère ouvrière). Faute d’ouvertures politiques, la
bourgeoisie profite du protectionnisme sarde pour développer
toute une série de petites entreprises métallurgiques et
textiles. en soi rien de sensationnel mais un frémissement
général prouvant l’impossibilité d’une
société d’échapper au progrès et à
la modernisation.
LA CRISE DE 1848-49
Il eût été surprenant que la
Savoie échappât à la crise européenne de
1848. Dans le soubresaut libéral de l’Italie, le roi
Charles-Albert se voit contraint d’accorder une constitution, le fameux
"Statuto", copie de la charte
française de 1815 réformée en 1830 ( au moment
même où celle-ci est supprimée à Paris en
février 1848)
LES NOUVEAUX PARTIS. La
Savoie découvre alors les débats électoraux et
parlementaires., mais l’unité apparente du pays éclate,
les conservateurs s’opposent aux libéraux mais aussi aux
extrémistes démocrates et même républicains,
les cléricaux aux anticléricaux, les Savoyards aux
Piémontais, les partisans de la "petite patrie" à ceux de
la "grande" car pourquoi ne pas profiter de la crise de l’empire
autrichien pour s’emparer enfin du Milanais et commencer à
réaliser cette unité italienne dont on parle de plus en
plus ?
LES VORACES.
L’agitation s’empare du pays, une foule de journaux plus ou moins
éphémères agite l’opinion, fait rêver ses
lecteurs, pose des questions et entretient les polémiques. Les
réunions et manifestations se multiplient un peu partout, les
jésuites sont expulsés au milieu des larmes de leurs amis
et des ricanements de leurs ennemis. Enfin l’arrivée d’ouvriers
lyonnais soi-disant savoyards ( Les "Voraces") venus apporter ici le
réveil révolutionnaire, provoque la panique d’autant
qu’ils parviennent jusqu’à Chambéry qu’ils occupent en
profitant de la disparition momentanée des autorités,
tout se finit dans le sang et l’ordre revient mais on a eu bien peur et
l’impression une nouvelle fois vérifiée de
l’indifférence des autorités royales plus
préoccupées des affaires de la péninsule italienne
que de celles de la Savoie.
LA PREMIERE GUERRE
D’INDEPENDANCE ITALIENNE. En effet, pour des motifs
différents, le roi et son gouvernement ont déclaré
la guerre à l’Autriche. "L’Italia fara da se" en fait l’Italie
se résume à une alliance incertaine entre le royaume
sarde , la Toscane et les Etats du nouveau pape d’apparence
libérale, Pie IX, De plus l’armée sarde est bien loin du
niveau nécessaire d’équipement et d’organisation pour un
tel conflit d’autant que les Milanais même révoltés
contre les Autrichiens, ne sont pas du tout disposés à
reconnaître la primauté de Charles-Albert. Dans de telles
conditions, il n’y a rien à espérer et l’armée
piémontaise se retrouve bientôt seule face au grand
général autrichien Radetsky qui s’accroche au
célèbre "quadrilatère de Mantoue" pour
empêcher l’invasion de la Vénétie et la vaillance
royale ne peut alors empêcher la défaite ( Custozza, 23-25
juillet)), le recul et bientôt même la retraite de
l’armée sarde et l’on ne sauve le Piémont d’une invasion
que par un humiliant armistice en juillet 1848.
LA FIN DU REGNE. La
défaite n’a fait qu’exacerber les passions, les élections
se succèdent révélatrices des tensions politiques
mais aussi des impuissances gouvernementales. Les Savoyards se
lamentent sur l’oubli de Turin à leur égard et beaucoup
de libéraux n’hésitent pas maintenant à
prôner le retour à la France devenue républicaine
mais toujours riche et puissante. L’émotion est à son
comble au printemps 1849 lorsque le roi et les radicaux encore une fois
unis dans un bellicisme du désespoir, relancent la guerre, mais
cette fois l’armée ne peut même pas envahir le Milanais
puisque défaite complètement à Novare (23 mars)
par les Autrichiens qui ont pris les devants. Le roi
désespéré abdique sur le champ de bataille
même et se retire immédiatement dans un exil morose au
Portugal où il meurt bientôt, victime de son romantisme et
de ses hésitations La couronne passe à son fils
Victor-Emmanuel II dont on ne connaît alors ni les
possibilités, ni les intentions. L’ère romantique se
terminait donc dans la plus totale des incertitudes.
Victor-Emmanuel et Cavour
la fin de la Savoie sarde ( 1849-1860)
Une dizaine d’années vont être
nécessaires au Piémont pour se remettre de la
défaite et relancer le Risorgimento italien et d’un autre
côté à la Savoie pour accepter avec enthousiasme sa
réunion à la France au point de laisser croire que telle
était l’issue fatale de son histoire.
LE REGIME LIBERAL
LES NOUVEAUX DECIDEURS.
Le nouveau roi n’avait rien en commun ni au physique ni au moral avec
son père. Il conserva le Statuto et accepta un gouvernement
libéral et presque parlementaire en la personne dès 1851
d’un premier ministre habile et obstiné Camille
Bens de Cavour qui sera ensuite considéré comme le
père de l’unité italienne ( quoique apparenté au
patriciat genevois) et comme le "bradeur" de la Savoie sarde ( quoique
lié à la famille de saint François de Sales).
LA NOUVELLE POLITIQUE
EXTERIEURE. Le roi et son ministre s’entendaient assez mal sauf
sur la nécessité de moderniser le royaume et d’en faire
la base d’un nouvel Etat couvrant au moins l’Italie du nord, vieux
rêve de la Maison de Savoie. Cependant on tira la leçon de
la décade précédente en attirant les capitaux
britanniques et en flattant Napoléon III pour en faire un
allié certes encombrant mais néanmoins nécessaire.
Sortant ainsi de son isolement et de ses anciennes inhibitions, le
gouvernement sarde se lance dans la grande politique européenne,
il adhère à la coalition anti-russe de l’Angleterre , de
la France et de Turquie à l’origine de la guerre dite de
Crimée, engagement aberrant puisque sans aucun motif pour les
intérêts de Turin sauf celui de se faire remarquer et de
prouver la renaissance de l’armée sarde ( menée par le
général La Marmora) Cavour peut ainsi participer au
Congrès de Paris ( février-mars 1856) et s’attirer ainsi
les sympathies anglaises et françaises. Certes il faut encore
l’attentat d’Orsini contre NapoléonIII en janvier 1858 pour
accélérer le rapprochement d’où la fausse
secrète entrevue de Plombières ( juillet 1858) où
l’habile ministre promet Nice et la
Savoie à la France comme prix de son intervention en Italie pour
la création d’un indéfini royaume d’Italie du nord, le
mariage du cousin de l’empereur Jérôme-Napoléon
avec la princesse Clotilde célébré en janvier
1859, symbolisant et concrétisant l’alliance franco-sarde. Tout
est donc prêt pour la nouvelle épreuve, d’autant que Turin
rallie discrètement une partie des Républicains italiens
en la personne du héros de 1848, Garibaldi,
amené ainsi à rompre avec son ex-collègue Mazzini
muré dans sa méfiance contre la Maison de Savoie.
LA NOUVELLE POLITIQUE
EXTERIEURE. Liée à cette diplomatie, une active
politique intérieure donne au royaume sarde les structures
capitalistes et libérales nécessaires à l’appui de
la bourgeoisie et à l’industrialisation du pays. Fortement
aidé par des investissements franco-anglo-suisses, un puissant
réseau ferré se met en place reliant Turin à
Gènes et à Milan. Cependant on achoppe sur la
difficulté d’une liaison ferroviaire entre le Piémont et
la Savoie où se met en place une ligne Paris-Chambéry par
Culoz prolongée bientôt sur Saint-Jean de Maurienne mais
paralysée par la lenteur des travaux du tunnel du Fréjus
pourtant inauguré en grande pompe en 1857. Il n’empêche,
l’ouverture commerciale du royaume excite la grande industrie dont le
Piémont a bien besoin
Encore faut-il aussi moderniser l’Etat, d’autant que Cavour doit faire
face à une double opposition conservatrice d’un
côté et radicale de l’autre (sans compter les jaloux de
son entourage et la méfiance du roi susceptible et hypocrite).
La lutte contre les privilèges de l’Eglise va dominer la
période, car il s’agit de ramener le royaume au niveau de la
législation française, d’où la fermeture de
couvents "inutiles", la suppression des privilèges judiciaires
du clergé (lois Siccardi), la dissolution de certaines
associations trop actives ou la punition de certains prêtres trop
zélés (lois Rattazzi). Et le gouvernement de menacer
l’Eglise de la création d’un mariage civil et d’un
état-civil laïc "une Eglise libre dans un Etat libre"
ne cesse de clamer Cavour ce que ne peut supporter la hiérarchie
ecclésiastique qui crie à la persécution et
appelle la "colère de Dieu" sur un tel mauvais gouvernement.
Décidément on était bien loin du régime qui
avait précédé 1848 pourtant pas si ancien….
LES DERNIERS TEMPS DE LA SAVOIE SARDE.
LES RETICENCES DES SAVOYARDS.
Ebranlée depuis 1848 dans ses convictions traditionnelles, la
Savoie vit mal l’évolution du royaume. Elle ne se remet (et
encore) qu’en 1855 de la crise économique qui la secoue depuis
1845 et qui renforce encore la bourgeoisie locale dans sa
méfiance vis à vis de la révolution industrielle (
lui préférant de loin la jouissance de ses domaines
fonciers ou la tranquillité des fonctions administratives)
Le plus frappant est néanmoins l’inquiétude politique car
l’originalité savoyarde ne peut que s’affoler devant une
politique gouvernementale aussi dangereuse et incompréhensible
à l’extérieur et aussi pénible à
l’intérieur, car la grande majorité désapprouve la
guerre de Crimée dont elle ne voit pas l’intérêt
mais aussi la volonté de revanche sur l’Autriche car elle sent
bien que d’éventuelles conquêtes italiennes ne pourront
que renforcer ce nationalisme italien auquel elle ne participe pas et
qu’elle considère même contraire à ses
intérêts.
LES SAVOYARDS DU PIEMONT.
Le feu des passions faisait oublier les données de l’histoire
même récente. La Savoie ne voulait pas tenir compte des
milliers de Savoyards établis en Piémont, on oubliait
ainsi les fonctionnaires des bureaux, les officiels de la cour( ainsi
Mgr Charvaz ancien précepteur de Victor-Emmanuel II devenu
évêque de Pignerol puis archevêque de Gènes),
les grands personnages du gouvernement ( Roget de Cholex sous
Charles-Félix, le comte Avet sous Charles-Albert etc) ou de
l’Etat-Major, les innombrables mariages "mixtes" de la noblesse (plus
du tiers des familles nobles savoyardes avait contracté des
unions piémontaises !). Turin abritait une foule de domestiques
et de petits artisans venus de Savoie et n’oublions pas les relations
économiques ( rien ne pouvant se faire en Savoie sans
l’intervention des capitalistes piémontais) et culturelles ( du
fait de tous les anciens étudiants de l’université de la
capitale), bref le résultat de cinq siècles d’histoire
commune n’était pas négligeable, loin de là.
LES OPPOSANTS SAVOYARDS.
Or réveillant un antagonisme anti-piémontais qui rappelle
les querelles des dernières années de l’Ancien
Régime, la susceptibilité savoyarde anime une presse
aussi abondante qu’excitée et par là va dresser toute une
opinion complexée contre la politique cavourienne. Pourquoi
s’intéresser à des Italiens dont on n’a rien à
faire alors que le gouvernement s’occupe de moins en moins des
Savoyards, italianise ses méthodes et ne cesse de provoquer la
fidélité traditionnelle des "plus anciens sujets de Sa
Majesté" ? Ces thèmes furent repris en permanence par les
députés savoyards au parlement de Turin pour la plupart
conservateurs et isolés face à la majorité
libérale de l’assemblée. Bien sûr la querelle
religieuse n’arrangea rien, les évêques savoyards criant
à la persécution surtout après l’arrestation
symbolique de l’archevêque de Turin, Mgr Franzoni,
LES LIBERAUX PRO-SARDES.
Bien sûr, tout le monde n’est pas de cet avis et les
libéraux (comme exultent d’avoir enfin le gouvernement de leurs
vœux. même s’ils le considèrent souvent encore bien
timide. Le paradoxe n’en demeure pas moins de voir les conservateurs si
anti-français auparavant jeter un œil de plus en plus favorable
sur la France et son second Empire symbole d’ordre, de stabilité
et de richesse alors que les libéraux suivant une
évolution inverse, protestent dorénavant contre une telle
trahison en insistant sur l’intérêt des relations
piémontaises. L’histoire savoyarde était
décidément pleine d’imprévus, on n’y gagnait point
en sérénité et l’instabilité ne cessait de
croître. En fait il eût fallu raison garder: Cavour
n’était pas en soi hostile à la Savoie bien au contraire
il y avait même de fructueux intérêts particuliers (
à Aix, à Evian, dans la compagnie ferroviaire du
Victor-Emmanuel II ) mais il n’entendait pas se faire freiner par des
minorités considérées comme irréalistes
dans leur conservatisme. L’italianité du royaume était
une réalité de plus en plus sensible mais Turin et les
vallées alpines étaient encore largement francophones
tout comme la cour et les milieux ministériels. La
persécution religieuse était toute relative et d’ailleurs
très mal appliquée puisque l’Eglise gardait ses biens, la
plupart de ses couvents ( surtout en Savoie) et son influence scolaire.
En fait, la noblesse et une partie de la bourgeoisie savoyardes
entendaient conserver leurs pouvoirs locaux traditionnels et n’avaient
aucune envie de risquer leur puissance dans les évolutions
économiques et politiques en cours. Quant au clergé
incapable de sentir l’évolution des esprits, il n’avait que le
seul souci de défendre les situations acquises et de conserver
son influence sur les "bons esprits"
L’ISSUE FINALE DE 1860.
LA SECONDE GUERRE
D’INDEPENDANCE. La guerre éclata en 1859 dans
l’enthousiasme conjoint des Milanais et des Piémontais.
L’armée française gagna la plaine de Pô par
Chambéry et par Nice et Gênes. L’empereur Napoléon
III fut triomphalement reçu à Turin ( 3 mai) et l’on
partit pour ce que l’on croyait une simple promenade militaire. En fait
l’Autriche se défendit vigoureusement et les deux grandes
batailles de Magenta (4 juin) et Solferino (24 juin) sont
restées célèbres par l’horreur des combats et
l’abondance des victimes ( donnant raison ainsi au Genevois Dunant
convaincu dorénavant de la nécessité de limiter
ces tueries par une "Croix Rouge"). Napoléon III
traumatisé et fatigué décida
unilatéralement l’arrêt des combats et signa à
Villafranca (11 juillet) un armistice aussitôt critiqué
par les Sardes qui n’avaient néanmoins aucun moyen de le
contrecarrer.
Alors que Cavour faisait éclater sa fureur et
démissionnait, la paix de Zurich donna le Milanais (mais non la
Vénétie) à Victor-Emmanuel II à la fois
ravi mais déçu, ce qui l’arrangea bien pour ne pas
remercier son allié qui de son côté n’osa pas
réclamer Nice et la Savoie. Les Savoyards pro-français
qui avaient exulté, étaient consternés face aux
libéraux ravis de la conjoncture.
LA REVOLTE DE L’ITALIE
CENTRALE. La Savoie allait-elle rester sarde ? Une nouvelle fois
l’histoire en décida autrement. Au printemps 1860, une
série de révoltes locales éclatait en Italie
centrale. Sous la poussée discrète mais indéniable
du gouvernement turinois, les princes de Modène, de Parme et de
Florence étaient chassés, remplacés par des
autorités provisoires qui demandaient aussitôt leur
annexion au royaume de Sardaigne ( si on pouvait encore l’appeler ainsi
). Un nouveau marchandage était d’autant plus nécessaire
que l’équilibre européen n’avait jamais envisagé
une telle extension du royaume prévu de Haute-Italie, on s’en
sortit par un nouvel accord franco-sarde, le traité de Turin qui reconnaissait l’évolution de
la situation italienne, en compensation la France recevait (enfin) Nice
et la Savoie mais des plébiscites devaient montrer l’approbation
des populations concernées.
L’ANNEXION DE 1860. Le
printemps fut ainsi marqué par une série de consultations
populaires, bien sûr on dut déplorer bien des pressions,
bien des "oublis", bien des double-jeux mais il n’est pas moins certain
que ni Paris, ni Turin ne se manifestèrent ouvertement dans les
régions concernées et que les négociations
diplomatiques furent aussi sereines que possible. Les jeux
étaient faits : déliées de leur serment de
fidélité aux souverains traditionnels, les populations
acceptèrent avec autant d’illusion pour les uns que de
résignation pour les autres, leurs nouvelles destinées. La Savoie était française et le
proclama avec enthousiasme dans un plébiscite triomphal laissant
les Piémontais et les Valdotains fort surpris de se voir si
rapidement oubliés par leurs "frères" savoyards qui
,comme en 1792, croyaient trouver dans l’annexion à une grande
puissance comme la France, la disparition définitive de leurs
misères.
Le Saviez-vous ?
- Connaissez-vous le chant des Allobroges ?
Il a été écrit en 1856 par
Joseph Dessaix, écrivain populaire et neveu du commandant de la
Légion des Allobroges de 1792, à partir d'un air
entraînant joué pendant la guerre de Crimée par la
musique militaire sarde.
Dans ce chant, c'est la liberté qui parle et évoque le
refuge en Savoie des proscrits, après le coup d'Etat de
Louis-Napoléon Bonaparte de 1851.
Chanté à Chambéry en 1856, il devient le Chant des
Allobroges, hymne populaire des Savoyards.
La musique est la musique militaire sarde du chef Consterno (1855), les
paroles ont été rédigées par Joseph Dessaix.
A la différence de "La Marseillaise", cet hymne ne
véhicule nulle haine. On n'y retrouvera pas davantage
d'ostracisme ou de populisme : la Savoie, dans son hymne national, a su
se soucier des nations voisines tout en mettant en avant les grandes
idées de liberté, fraternité, amour et
égalité.
- Quelle est l'origine de la croix blanche de
Savoie ?
Au cours des siècles, la Maison de Savoie a adopté
plusieurs emblèmes. Le remplacement de l'aigle par la croix
d'argent sur champ de gueules, c'est-à-dire sur un fond de
couleur rouge, constitue le changement le plus important. L'aigle avait
été adopté par les premiers comtes car il
s'agissait de l'emblème des empereurs (héritiers du
royaume de Bourgogne) dont ils étaient les vassaux.
C'est à partir du règne d'Amédée III
(1103-1148) qu'apparaît la croix, sans que ce symbole ne s'impose
immédiatement. Selon l'explication traditionnelle, la croix
avait été choisie par Amédée III en raison
de sa participation à la deuxième croisade.
Ce n'est qu'à la fin du XIIIème siècle que la
croix deviendra la pièce fondamentale du blason des membres de
la dynastie.
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CARTES DES ETATS DE SAVOIE
Domaine et états des Ducs et Comtes de
Savoie
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LA MONNAIE : du gros d'argent au franc
Le
gros d'argent
L'apparition d'une première monnaie savoyarde date du milieu du
Xe siècle. Elle coïncide avec le développement de la
féodalité, sur les ruines de l'empire carolingien.
Charlemagne et ses successeurs avaient en effet mis en place un
système monétaire unique, basé sur la livre (dont sont issues la livre
anglaise et la lire italienne), qui s'étendait à
leur immense empire. Pour cela, ils s'étaient arrogés le
monopole de la frappe de la monnaie, droit régalien s'il en est.
Mais l'affaiblissement de la dynastie ouvre une ère d'anarchie
dont profitent les Pouvoirs locaux (grands seigneurs,
municipalités, évêques), aux dépens des
héritiers de l'empire, qui perdent leur monopole de la frappe.
Au système unique succède une incroyable diversité
monétaire, caractéristique du Moyen Age.
C'est dans ce contexte troublé que s'affirme
la dynastie de Savoie. Battre monnaie est
alors un moyen d'affirmer son existence et son indépendance. Les
premiers comtes de Savoie ne dérogent pas à la
règle.
La plus ancienne monnaie connue de la dynastie est le gros d'argent, créé au XIe
siècle par Humbert aux Blanches-Mains. Inspirées
du gros de Vienne, ces pièces sont frappées à Suze,
puis bientôt à Aiguebelle, et portent une croix
à leur avers (côté face).
Les successeurs de Humbert posséderont tous leur propre monnaie.
En 1481, le duc Charles Ier, pour la première fois, fait
représenter sa tête sur une pièce. C'est pourquoi
ces pièces furent appelées testons.
En Savoie comme ailleurs, les monnaies sont foison :
patagons, pistoles, ducatons, parpayoles, croisats
ou sequins, à la valeur et au taux de change fluctuant d'un
endroit à l'autre !
Qui plus est, les vicissitudes de l'Histoire (peste, Guerre de Cent
ans, marasme économique), entraîneront la
dépréciation du gros. Une pièce contenant
de moins en moins d'argent-métal, il fallut créer de
multiples autres pièces, soit des sous-multiples de petites
dimensions comme l'obole, soit des
pièces d'une valeur plus élevée, comme le cornabo, égal à 5 gros 1/4.
Apogée du Florin
L'argent seul fut
employé jusqu'au XIIIe siècle, quand apparut, à Florence,
le florin en or, qui allait
détrôner le gros comme étalon
monétaire.
Il faudra cependant attendre 1359 pour qu'il se diffuse en Savoie, sous
le règne d'Amédée VI. Les pièces, d'un or
pratiquement pur, sont frappées dans une multitude d'ateliers
à Chambéry, Bourg, Pont-d'Ain, St-Genis, Yenne,
Pierre-Châtel, Aix-les-Bains, Montuel, Gex, Poisy, Annecy. Une
autre pièce en or a également cours en Savoie : l'écu !
Le florin savoyard, ou ducat,
connaît son apogée avec le duc Amédée VIII
(1383-1451). Le ducat est en effet utilisé comme monnaie de
référence pour les transactions commerciales lors des
grandes foires de Genève.
Le florin persiste ensuite tant bien que mal jusqu'au grand
bouleversement du milieu du XVIe siècle, quand déferlent
sur l'Europe les métaux précieux du Nouveau
Monde.
Les réformes du XVIe
siècle...
En 1536, le duc
Charles III est chassé par les Français, qui occupent la
Savoie jusqu'en 1559. A cette date, le fils du comte déchu,
l'énergique Emmanuel-Philibert, recouvre les états de son
père. Mais la Savoie est exsangue, les caisses sont vides. Il
transfère la capitale de Chambéry à Turin,
où il ouvre une banque afin d'attirer les capitaux. Surtout, il
procède à une refonte complète du monnayage, pour
lutter contre la dépréciation des monnaies savoyardes.
Les décisions sont spectaculaires. En 1561, toutes les anciennes
monnaies sont abolies. Récupérées, elles sont
refondues. La livre d'argent, inspirée de la livre tournoise
française, devient le nouvel étalon. L'écu et le
florin restent en vigueur, mais sont supplantés par la livre
comme monnaie de compte. Celle-ci se subdivise en 20 sols,
valant chacun 12 deniers. Des mesures auxquelles le peuple
mettra un certain temps à s'acclimater.
Cette politique aura un effet salutaire pendant
quelques décennies. Mais les longues guerres européennes
du XVIIe siècle précipitent tous les états dans la
crise et la déflation. En 1630, le gouvernement de Turin ordonne
la réduction des florins en livres de 20 soks.
Parallèlement, l'émission de " mauvaises monnaies ", en
cuivre ou en billon (pauvre en métal précieux), donc de
peu de valeur, s'accroît. Et les deux occupations de la Savoie
par Louis XIV à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe
n'arrangent rien, et les finances sont à sec.
... Et celles du XVIIIe siècle.
Fort heureusement
pour la maison de Savoie, Victor Amédée II (1675-1730),
pour s'être allié aux ennemis du Roi Soleil, obtient en
reconnaissance le titre de roi de Sicile (1715), qui en 1718 sera
échangé contre celui de Sardaigne.
L'ambition séculaire des chefs de la maison de Savoie se voit
enfin réalisée : la Savoie devient un royaume, et les
pièces de monnaie de la nouvelle monarchie
Savoie-Piémont-Sardaigne sont frappées de la couronne
royale.
Economiquement, la paix aidant, la conjoncture se retourne. Le besoin
d'une nouvelle réforme se fait sentir, d'autant plus que la
France et l'Angleterre viennent de faire leur réforme
monétaire. Celle_ci intervient en 1717, et s'inspire directement
du modèle français.
La décision la plus symbolique est la suppression
définitive du vieux florin, après presque 4
siècles de bons et loyaux services. En outre, dans un souci
d'efficacité et de contrôle, l'atelier de Turin, et lui
seul, possède le monopole de la frappe ; les autres centres sont
fermés.
De même, l'ancien système est peu à peu
abandonné : les monnaies en circulation sont retirées et
refondues. Le peuple doit une nouvelle fois s'habituer au nouveau
monneyage. L'unité de référence devient la livre ancienne du Piémont
(dénommée ainsi par opposition à la livre neuve de
1815), qui est d'un valeur à peu près égale
à la livre française, ceci pour des
commodités commerciales, la Savoie entretenant des liens
étroits avec son puissant voisin. Avec elle s'impose le système
duodécimal, puisqu'une livre se divise en 12 sols de 12
deniers. Il en est de même avec les multiples : une doppia en or vaut 24 livres, un carlin (du nom du surnom du roi
Charles-Emmanuel III) vaut 12 livres. A noter que la doppia
constitue aujourd'hui une des pièces les plus remarquables de la
numismatique savoyarde. Il arrivait fréquemment que des
transactions se règlent à l'aide de pièces
savoyardes, françaises et Suisses !
De la livre au franc.
Occupée par
la France de 1792 à 1815, la Savoie se voit imposer la livre française puis le franc germinal instauré par
Napoléon. Lors de la restauration de 1815, les souverains de
Turin entendent faire table rase du passé
révolutionnaire. La livre ancienne est rétablie. Peine
perdue ! Les Savoyards se sont totalement habitués au
système décimal français et sont réticents
à revenir en arrière. La monarchie n'a d'autre choix que
de s'adapter à la nouvelle donne. En 1816, est instaurée
la livre neuve du Piémont, monnaie
décimale indexée sur le franc français.
L'objectif est là aussi, comme en 1717, de simplifier et de
favoriser les relations économiques avec la France. Mais les
anciennes monnaies duodécimales continueront à circuler
pendant plusieurs années. Un quadruple de
Gênes, en or, valait par exemple 79 francs ; un double de savoie 28,45 francs...
Si bien qu'au moment de l'Annexion de 1860, le passage de la livre
au franc se fera sans trop de difficultés pour les
Savoyards.
Du franc à l'Euro.
L'Annexion de 1860
signifie de fait la fin du monnayage savoyard, vieux de près
d'un millénaire. Dès lors, traiter de l'histoire des
monnaies de Savoie revient à parler de l'évolution du
franc français.
Les grandes étapes sont connues. Après une période
de remarquable stabilité jusqu'en 1914, le franc subit le
contrecoup financier de la Première guerre et doit être dévalué
par R. Poincaré en 1928. En 1960, une nouvelle
unité monétaire fut créée, à
l'instigation d'A. Pinay : le nouveau franc,
valant 100 anciens francs.
Et aujourd'hui, il cède sa place à l'Euro,
la nouvelle monnaie européenne. D'un certain côté,
l'Histoire se répète : il y a plus de mille ans,
Charlemagne, à la tête de la majeure partie de l'Europe
occidentale, n'avait-il pas instauré une monnaie unique ?
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LA HAUTE SAVOIE
|
Rhône-Alpes
Haute-Savoie (74)
|
|
Département français du Léman de 1792 à 1813
Jusqu'en 1860, la capitale de la province de Savoie du Royaume
de Sardaigne était Chambéry. La France transforma
ce territoire en deux départements : la Haute Savoie avec pour
chef lieu Annecy et la Savoie qui conserva Chambéry comme
préfecture.
La monnaie du Royaume de Sardaigne était la Lire (Lira) subdivisée en Centimes (Centesimi).
Carte d'identité de la
Haute-Savoie
294 communes
34 cantons
4 arrondissements :
- Annecy (Préfecture),
- Bonneville,
- Saint-Julien-en-Genevois
- Thonon-les-Bains.
Agglomérations principales :
- Annecy (12 communes)
- Annemasse (11 communes)
- Thonon-Evian (67 communes)
- Cluses (5 communes).
Superficie : 483.862 ha
Altitude moyenne : 1.160 m
point le plus haut : Le Mont-Blanc . 4 810,40 m
point le plus bas : Commune de Seyssel . 252 m
Frontières : Suisse, Italie
Lacs : Léman 52.200 ha
dont 21.400 ha en Haute-Savoie, Annecy 2.700 ha
900 unités pastorales en Haute-Savoie
250 alpages qui fabriquent
Cours d'eau : 3.500 km
Forêts : 170.000 ha
Réserves naturelles : 20.000 ha (premier département
français)
LE BASSIN LEMANIQUE
Un
bassin d'emploi en voie d'unification le phénomène des travailleurs frontaliers. Défini par
l'accord franco-suisse du 1er août 1946, le statut du travailleur
frontalier français travaillant en SUISSE est soumis aux
conditions suivantes:
- une condition de
nationalité : être ressortissant français d'une
honorabilité reconnue. Cette condition a été
longtemps respectée notamment par les autorités
cantonales suisses habilitées à délivrer les
autorisations de travail. Depuis quelques temps, les ressortissants
européens peuvent prétendre à un emploi de
travailleur frontalier en SUISSE.
- une condition d'ancienneté de 6 mois de
résidence en zone dite " frontalière " (pour le bassin
lémanique, cette zone concerne une grande partie du territoire
des deux départements français de l'AIN et de la
HAUTE-SAVOIE).
- - le passage journalier de la frontière
par le travailleur frontalier pour regagner son domicile situé
en FRANCE voisine. On dénomme " mouvements pendulaires " les
allers et retours quotidiens des travailleurs frontaliers.
le passage journalier de la frontière par le travailleur
frontalier pour regagner son domicile situé en FRANCE voisine.
Dans le bassin
lémanique, le nombre de travailleurs frontaliers, au statut
précaire, varie en fonction de la bonne santé
économique des cantons suisses voisins (GENEVE, VAUD).
Décroissant depuis le début de la crise économique
qui a frappé la SUISSE à partir de 1990, leur nombre
connaît à nouveau depuis la mi 1998, une progression
régulière.
A GENEVE, 74 % des travailleurs frontaliers ont au moins 6 ans
d'ancienneté. 67 % des travailleurs frontaliers ont au moins 11
ans d'ancienneté, c'est-à-dire qu'ils ont
été embauché avant la crise à GENEVE
(1990-1993)
Sur les 28 161
travailleurs frontaliers, 27 362 sont de nationalité
française ( 97,16 %), 799 sont étrangers (2,84 %). Le
marché du travail des deux cantons romands constitue donc pour
le département de la HAUTE-SAVOIE
un gisement d'emploi très dynamique qu'il convient d'exploiter
afin d'améliorer la situation locale de l'emploi. Le Projet
Territorial pour l'Emploi s'assigne donc l'objectif suivant : le
développement du travail frontalier avec la création
dès 2000 et sur 3 ans, de 1000 emplois nouveaux de travailleurs
frontaliers.
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LA SAVOIE
|
Rhône-Alpes
Savoie (73)
|
|
Lors de la première "Annexion de la Savoie à la France"
par décret du 27 novembre 1792, l'ancien duché, dont le
chef-lieu est Chambéry, devient le 84ème
département français, le département
du Mont-Blanc.
Carte
d'identité de la Savoie
305 communes
37 cantons
3 arrondissements :
- Chambéry
(Préfecture),
- Bonneville,
- Albertville
-
Saint-Jean-de-Maurienne.
Agglomérations
principales :
- Chambéry
- Aix-les-Bains
- Albertville
- Bonneville
-
Saint-Jean-de-Maurienne
- La Motte-Servolex.
Superficie : 6028 km²
En
1999, 305 communes dont
160 de moins de 500
habitants
75 de 500 à 1 000 habitants
60 de 1000 à 5 000 habitants
10 de plus de 5 000 habitants
63 communes urbaines (242 479 habitants)
242 communes rurales (130 779 habitants)
La
population des villes en 1999
Villes
Chambéry
Population 99 55 786
Agglomérations 111 341
Aix-les-Bains
Population 99 25 702
Agglomérations 38 391
Albertville
Population 99 13 340
Agglomérations 28 941
St-Jean-de-Maurienne
Population 99 8 902
Agglomérations 9 846
La Motte-Servolex
Population 99 10 912 Inclus dans
l'agglomération de Chambéry
Près
d'un tiers de la population a moins de 25 ans
Tourisme
Le tourisme est une activité
très importante, qui s'est développé à
partir de la fin du XIXe siècle, d'abord en été.
Terre de montagnes et de lacs, la Savoie offre été comme
hiver de multiples
loisirs. La Savoie dispose de 60 stations de ski alpin, 1 022
remontées
mécaniques et de 17 sites de ski de fond. Grâce à
ses sommets enneigés,
le touriste peut aussi pratiquer des activités hors ski
(raquette, promenade).
Le développement du ski, au XXe siècle, a fait de la
Savoie le premier département de France pour le nombre de
stations de sports d'hiver, dont certaines très importantes :
- Val-d'Isère
- Tignes
- Les Arcs (Savoie)
- La Plagne
- Courchevel
- Méribel
- Les Saisies
important site nordique et alpin - Savoie Grand Revard premier site nordique de
France
Le tourisme vert est aussi en large expansion. Du Parc Naturel National
de
la Vanoise aux Parcs Naturels Régionaux des Bauges ou de la
Chartreuse,
les randonneurs peuvent apprécier la diversité des
paysages sur 3 000 km
de sentiers balisés. Les plus actifs pourront pratiquer :
escalade, via ferrata,
golf (6 parcours), VTT et cyclotourisme.
Que ce soit l’eau des grands lacs (Bourget ou Aiguebelette), des petits
lacs
de montagnes ou des barrages, ils attirent de nombreux admiratifs
(croisières)
ou sportifs (voile, aviron, plongée…).
Le thermalisme,
pratiqué depuis l'Antiquité, y est également
développé, avec les quatre stations thermales encore en
activité :
- Aix-les-Bains
- Challes-les-Eaux
- Brides-les-Bains
- La Léchère
Musées, châteaux, arts et traditions sont aussi à
découvrir. Quant aux vins et
à la gastronomie savoyarde, alliant saveurs et qualité,
ils combleront les fins
gourmets. Le département diversifie son offre touristique avec
le Tourisme
de Découverte Economique. Il permet de visiter quelques jours
dans l’année
des sociétés savoyardes.
Ces multiples atouts placent la Savoie dans les premiers
départements touristiques français.
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ELEVAGE BOVIN
Les bovins, espèce principale,
sont répandus sur l'ensemble du
territoire à l'exception du sud-est méditerranéen.
On y distinguait autrefois trois
groupes : les "laitières", les "viande et travail" et les
"triple aptitude" (surtout rustiques en montagne), groupes qui ont
évolué, à
la suite d'abord de la disparition de la traction bovine puis de la
spécialisation des
élevages, pour donner les "laitières
spécialisées" et les "mixtes"
(viande et lait), les "viande" et les "rustiques, ces deux derniers
groupes
formés quasi exclusivement de vaches allaitantes. Les troupeaux
ont une dimension fort
modeste : en moyenne, moins de 30 vaches par élevage, et rares
sont les élevages, tant
laitiers qu'allaitants, dont les effectifs sont supérieurs
à 100 vaches.
Effectifs en
France : 20 660 000 têtes dont 4
611 000 vaches laitières
et
4 105 000 vaches allaitantes
Les races
laitières
La taille réduite des
exploitations et, en conséquence, la nécessité
d'intensifier ont orienté les zones côtières, une
partie des zones collinaires
adjacentes et certaines montagnes au relief peu accentué
(plateaux du Jura, est du Massif
Central) vers la spécialisation laitière : dans ces
zones, c'est la Prim'Holstein
ou, dans l'est, la Montbéliarde, qui dominent. Le
cheptel laitier français est
toutefois aussi un important producteur de viande ce qui explique,
notamment dans les
zones herbagères moins intensifiées, le maintien de races
mixtes particulièrement bien
adaptées, comme la Normande ou la Simmental
Française, à productions
très équilibrées, ou le développement de la
Montbéliarde dont les aptitudes
bouchères sont aussi très intéressantes. Par
ailleurs, dans chaque région, des
générations d'éleveurs avaient contribué
à façonner le cheptel local pour l'adapter
à leurs besoins, générant ainsi des races
solidement implantées chacune dans leur
région et qui continuent aujourd'hui à évoluer :
il en est ainsi notamment pour la Pie
Rouge des Plaines dans l'ouest, pour la Brune dans le
centre-est et le sud, et
pour l'Abondance et la Tarentaise, deux races rustiques
des Alpes du nord,
bien adaptées à des conditions difficiles qu'elles
valorisent grâce à des fromages de
haute qualité. Il est aussi intéressant de faire mention,
dans les races laitières, de
toute une série de races à effectifs aujourd'hui
réduits, suite à la concurrence
qu'elles ont subi de la part de races plus productives dans les
décennies passées, mais
dont les effectifs sont le plus souvent à nouveau en voie de
nette augmentation dans le
cadre de systèmes privilégiant de nouvelles formes de
production : valorisation d'une
race locale, intégration de la production dans des
écosystèmes privilégiant les formes
d'agriculture durable, élaboration de produits typiques de la
région et de haute
qualité. Tel est notamment le cas de la Bleue du Nord,
de la Rouge Flamande,
de la Bretonne Pie Noire, de la Vosgienne,...
Les races
allaitantes
Les herbages collinaires, mais à
forte pente, du Centre disposent de leur
côté d'une importante production fourragère
estivale mais nécessitent des
engrangements coûteux pour l'hiver, d'où le succès
d'anciennes races de travail
maintenant spécialisées dans la production abondante
d'une viande maigre avec de fortes
croissances et exploitées en système allaitant, dont les
carcasses de femelles,
d'excellente qualité, représentent une part non
négligeable des revenus de leurs
éleveurs : ces races se trouvent dans la zone des sols
argilo-calcaires (lias) à l'est
et au nord du Massif Central (Charolaise), sur la bordure ouest
de celui-ci, qui a
bien été améliorée depuis deux
siècles (Limousine), ainsi que sur les coteaux
du sud-ouest (Blonde d'Aquitaine, Bazadaise).
De même, dans les
Pyrénées et le Massif Central, on exploite des races
rustiques habituées aux fortes
pentes et aux saisons difficiles, mais excellentes allaitantes et bien
adaptées au
croisement (Gasconne, Aubrac, Salers).
Enfin, la production allaitante utilise
aussi d'anciennes races mixtes de
grand format qui ont aujourd'hui abandonné la traite et
axé leur sélection sur les
aptitudes bouchères et notamment sur la conformation : c'est le
cas de la Maine Anjou,
de la Parthenaise et de la Blanc Bleue.
L'ABONDANCE
LA TARENTAISE
Race bovine ABONDANCE
Origine, zone d'élevage et
performances
Originaire de la vallée qui
porte son nom, l’ABONDANCE est issue du
grand groupe jurassique dont la diffusion est liée au peuplement
Burgonde. Cette race est
actuellement essentiellement présente dans 13
départements français, en majorité en
région Rhône-Alpes et dans le Massif Central ; elle
représente plus de 150 000 têtes
de bétail.
Effectifs |
65 000 vaches dont 15 575
controlées |
Qualités
laitières |
production laitière
: 5739 kg (lactation corrigée)
taux butyreux : 37,4 °/oo
taux azoté : 34,3 °/oo |
Qualités
bouchères |
poids de carcasse
- taurillons (18 mois) : 320 - 380 kg
- vaches de réforme : 300 - 380 kg
avec un rendement viande de 55 % |
Aptitudes et utilisations
A la fois laitière et rustique, l’ABONDANCE
est la laitière des zones de
montagne et des zones difficiles.
- Son potentiel laitier est très
bien exprimé dans des conditions de milieu
particulièrement rudes: - Une longévité importante
mène le quart des vaches jusqu’en 5ème lactation et
au-delà. - Le lait, riche en protéine, est
transformé en fromages A.O.C bien connus comme le Reblochon,
l’Abondance ou le Beaufort, en Tomme et en Emmental de Savoie.
- Adaptée à la montagne :
- elle offre une grande résistance aux
amplitudes thermiques (thermotolérance) ;
- grande marcheuse, elle va chercher sa
nourriture en alpage et valorise ainsi les surfaces fourragères
dont elle ingère et transforme au mieux la production ;
- des hivernages en étable entravée
de 7 à 8 mois en été, plus de 100 jours d’alpage
jusqu’à 2 500 m d’altitude.
- Son potentiel viande constitue un atout
supplémentaire: - La race est utilisée pour le croisement
industriel grâce à sa très bonne aptitude au
vêlage. - Les vaches de réforme offrent des carcasses de
300 à 380 kg, avec une ossature fine; les taurillons ont une
croissance rapide et importante. Sources: INRA, Institut de l’Elevage,
UNLG, 95 Origine
Schéma de sélection
Toutes les actions de sélection visent
à améliorer la qualité des animaux
exploités, en vue d’accroître le revenu des
éleveurs. La sélection et le
classement des reproducteurs sont établis à partir de
trois types de critères :
- Les index génotypiques de production: sont
retenus comme premiers critères de sélection les index
ayant trait aux quantités de matière. L’INEL est le
principal index.
- Importance de la transformation fromagère
: la modification des modalités de paiement du lait par les
entreprises ainsi que les nouvelles dispositions communautaires
concernant les quotas matières grasses obligent à porter
une attention plus particulière à l’index Taux
Azoté pour lequel un seuil minimum est retenu.
- Les caractères morphologiques liés
à la longévité :
- solidité du système mammaire,
capacité, membres, taille ;
- l’aptitude à la traite: mesurée
à la fois sur les candidates mères à taureaux et
la descendance des taureaux.
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Race bovine TARENTAISE
Origine, zone d'élevage et performances
La race TARENTAISE porte le
nom de la Haute Vallée Savoyarde où elle a pris
naissance. Ses qualités lui ont permis de rapidement se
développer dans de nombreuses
régions montagneuses et difficiles, en France et à
l’étranger, où elle offre une
solution pertinente pour des systèmes d’élevage
variés (valorisation de zones
défavorisées, productions fromagères de
qualité, système allaitant, amélioration de
races locales à l’étranger.
La TARENTAISE est
implantée en France dans les Alpes et le Massif
Central, avec un effectif de 30 000 têtes. Ses qualités de
laitière rustique, reconnues
mondialement lui ont permis de s’implanter dans 21 pays sur quatre
continents.
Effectifs |
14 000 vaches dont 6 143
contrôlées |
Qualités
laitières |
production
laitière : 4 718 kg
taux butyreux : 36,1 ‰
taux azoté : 33,7 ‰ |
Qualités
bouchères |
poids de carcasse de
taurillons ( 17 mois) : 290 kg
rendement commercial : 56 %
dépôts adipeux : 16% |
Aptitudes et utilisations
La TARENTAISE est une laitière
remarquable, souvent exploitée dans des conditions
difficiles (été dans les alpages jusqu’à 2 500 m
d’altitude en plein air
intégral, alimentation hivernale à base de foin
uniquement). Elle produit un lait riche
en protéines et équilibré, particulièrement
favorable aux fabrications fromagères
auxquelles elle est associée: Beaufort (AOC), Tomme de Savoie,
Reblochon (AOC).
Ayant évolué depuis ses origines
dans les rigoureuses montagnes de Savoie, la
TARENTAISE se caractérise également par sa
rusticité exceptionnelle : excellente
adaptation à la marche, aux variations climatiques, bonne
transformation des fourrages
grossiers, longévité...
Ses qualités de reproduction,
fécondité, facilité de vêlage, sont
très
appréciées, en système laitier ou allaitant.
Son potentiel viande intéressant
(engraissement facile après tarissement carcasses à
haut rendement, finesse du squelette...) et ses qualités
maternelles font d’elle une
très bonne allaitante, notamment en croisement avec des races
bouchères.
Schéma de sélection
Au sein de l’UPRA TARENTAISE, l’ensemble des
opérateurs (éleveurs, unités
de sélection, groupements de producteurs, de reproducteurs,
transformateurs de la
filière Beaufort) travaillent en commun pour préparer
l’avenir et répondre aux
besoins du marché de demain.
14 taureaux sont testés chaque année
au prix de l’effort de testage le plus
élevé de toutes les races françaises (1 taureau
mis à l’épreuve pour 600 IAP).
Un large choix de taureaux améliorateurs est offert aux
éleveurs.
Ce programme permet une amélioration des
qualités laitières (production laitière,
richesse en protéines, équilibre en matière
grasse) tout en veillant à préserver la
rusticité de la race TARENTAISE.
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LA MAPPE SARDE
ETYMOLOGIE
Mappe du latin médiéval "mappa"
signifiant nappe. C'est une feuille de papier collée sur un
support solide portant le quadrillage cartographique sur lequel on fera
un relevé. En rassemblant toutes les feuilles entre elles on
réalise la carte d'un lieu ou la mappe sarde parce qu'elle fut
décidée par le roi de Sardaigne qui régnait aussi
sur la Savoie.
HISTORIQUE
La mise en chantier du cadastre savoyard, en 1728, répond
à une exigence étatique de consolidation du pouvoir
central. Plusieurs monarchies européennes, notamment la maison
d'Autriche dans le Milanais et la République de Genève,
avaient donné l'exemple ; mais point le France !
Dans le comté puis duché de Savoie,
l'impôt eut tout d'abord un caractère exceptionnel :
lorsque le souverain voulait procéder à la levée
d'un subside, il devait préalablement convoquer les Etats
Généraux devant lesquels, il faisait savoir les raisons
justifiant l'exaction demandée.
Jusqu’en 1559 en Savoie, l’impôt est
levé sans régularité, en fonction des besoins et
pour une durée limitée. La base de calcul de
l’impôt est le feu. L’évaluation globale du nombre de feux
et des exemptions accordées aux pauvres permet une
répartition par communauté, unité administrative
de base.
Le pouvoir central laissait aux communes une liberté à
peu près complète pour procéder à la
répartition des impôts à lever. Il est constat
qu'en Savoie la répartition de l'impôt était
injuste parce qu'arbitraire. Les syndics de chaque commune,
après avoir procédé aux publications
nécessaires, composaient en effet eux-mêmes les
rôles, assistés de quelques notables sur la base de la
valeur appréciée par eux, de chaque feu.
Un édit de juillet 1564 crée un "droit
de subside" qui est déterminé selon les
ressources. La terre devient donc la base de la nouvelle contribution
qui prend le nom de taille. Cet
impôt conduisait nécessairement à
l’établissement d’un cadastre. Le premier cadastre
systématique est ordonné par un édit de 1601. Les
livres fonciers décrivent les confins des parcelles, la
superficie et le degré de bonté puis le chiffre de la
taille. Ils s’accompagnent de livres de mutations, appelés livres
de remesses ou de vires. Ces documents sont assortis de
"cottets", listes ou rôles où figurent les noms des
propriétaires et le montant des contributions.
Les nobles et les ecclésiastiques, arguant
de leurs privilèges, étaient pratiquement exemptés
de toute contribution. De sorte que les charges publiques accablaient
le peuple "d'en bas".
En 1559, le Duc Emmanuel-Philibert recouvre ses
états ruinés par l'occupation française (1536 -
1559) et les invasions bernoises. Ses besoins d'argent sont
aggravés par le besoin de réorganiser les services
publics. Il obtient des Etats Généraux de lever un
impôt important, qui de subside extraordinaire se transforma en
contribution ordinaire et annuelle. La perception de ce tribut est
évidemment rendue malaisée par
l'impécuniosité des populations assujetties à le
payer.
Charles-Emmanuel Ier voulut changer cet
état de fait en signant l'édit du 27 mars 1584 sur la
répartition de la taille en prenant pour base la
propriété et cela eut pour conséquence la
rédaction du premier cadastre, entrepris au commencement du
XVIIe siècle. L'exécution en fut décidée
par lettres patentes du 1er juillet 1601. Des commissaires furent
envoyés dans chaque communauté pour dresser le rôle
de la taille avec le concours du conseil et des notables de la
paroisse. Les exemptions furent rigoureusement limitées au biens
de l'ancienne noblesse et de l'ancien patrimoine de l'Eglise.
Malheureusement, il ne reste pas trace de ce premier cadastre, sauf des
droits d'exemption repris à la lettre dans la mappe de 1730.
Le roi Victor Amédée II avait
décidé d'imposer une remise en ordre fiscale, donc la
réalisation d’un nouveau cadastre. L'innovation principale
était la confection des mappes, cartographie
généralisée des parcelles pour toutes les
communes. Par lettres patentes du 9 avril 1728, l’intendant
général fut chargé de la direction des
opérations.
On conserve d’autres cadastres systématiques en Europe au
début du XVIIIe siècle, principalement en Prusse et en
Angleterre, mais ils ne sont pas accompagnés de levés
topographiques.
CARACTERISTIQUES :
Edit ordonnant la mise
en place de la cadastration de la Savoie
Fabrication de la mappe sarde (1738).
Arpentage géomètrique
détaillé, l'ancien cadastre, en avance sur toutes les
réalisattions françaises similaires, porte la marque de
son temps.
Instrument juridique, la "mappe" sarde permet d'établir une
présomption de propriété pour les
détenteurs qui peuvent justifier d'une filiation d'inscriptions
dans les documents.
Les tabelles cadastrales constituent un énorme réservoir
de noms de lieux (toponymes) et de noms de personnes (anthroponymes).
Les cadastreurs ont tenu à prendre le mas comme base d'arpentage. Ces ensembles de
parcelles semblent bien
la survivance des manses, premières cellules
d'exploitation sous l'époque gallo-romaine. Les mas d'une
contenance moyenne homogène, sont, pour ainsi dire, toujours
d'un seul tenant mais ne se composent que rarement d'une seule
parcelle.
On désigne sous le nom de cadastre les documents servant à la
répartition de l'impôt en prenant pour base la
propriété. L'origine de ce mot : selon certains du bas
latin "Capistratum", registre de l'impôt par tête, pour
d'autres le mot cadastre aurait désigné les pierres
carrées employées pour les bornages ; pour d'autres
encore, l'origine du cadastre remonterait à l'époque
où l'on gravait des plans de bornage sur des feuilles de schiste
appelées "cadettes" ou "cadasses".
Les indicateurs : personnes capables
d'indiquer les confins et les limites du territoire concerné et
d'en indiquer les propriétaires par surnom et nom et si ceux-ci
sont ou non exempts de droits.
En outre chaque communauté devait également choisir "deux
personnes de probité et d'expérience, capables pour
estimer la qualité, bonté et fruits naturels des susdits
fonds". C'étaient les estimateurs.
Un estimateur d'office nommé par l'intendant
général devait contrôler leur
évaluation. Les terres, suivant leur nature furent
divisées en trois catégories : bonne, médiocre et
mauvaise.
Les syndics furent rendus responsables
pécuniairement dans tout retard éventuel aux
opérations cadastrales (amende de dix écus).
Lorsque la mappe était terminée, le
délégué la faisait afficher pendant quinze jours
et engageait les habitants à présenter leurs griefs.
LA MAPPE ORIGINALE
Le projet de mappe est très ambitieux : il s’agit rien moins que
d’établir une mesure équitable, c’est-à-dire
uniforme, des biens fonciers, par catégorie et par parcelle.
Cette mesure est assise sur le produit brut et sur le produit net,
déduction faite des charges et coûts de production.
Plus de cent géomètres groupés en "escadres"
participent à l’opération. Ils lèvent d’abord un
plan rapide de la commune, puis confectionnent des "planchettes"
en assemblant les levés parcellaires. La juxtaposition des
planchettes constitue la mappe originale, à l’échelle
1/2372° (la mesure originelle est en trabucs, mesure du
Piémont). Les levés sont effectués d’abord
à l’équerre, puis selon la méthode de la table
prétorienne. La surveillance technique confiée à
un surintendant, (sous la direction d'un intendant
général), chargé de centraliser les travaux
des géomètres et d'en vérifier l'exactitude. Le
géomètre était suivi en campagne d'un
assistant ou porte-chaîne, appelé aussi trabucant du nom d'une mesure
pièmontaise valant 3,082596 m, le trabuc,
qui servait à calculer les longueurs. La chaîne du
trabucant divisée en 32 pieds de Savoie, soit 4 toises de 8
pieds (10,86 m.). Il était accompagné par des auxiliaires
indispensables : les indicateurs et les estimateurs.
LE LIVRE DE GEOMETRIE
Dressé par les indicateurs à l'usage du
géomètre, le "livre de géométrie"
énumère les parcelles dans l'ordre des numéros
portés sur la mappe, (dans l’ordre d’arpentage), mas
après mas, d'où son nom plus usuel de "livre des
numéros suivis". Mention est faite pour chaque parcelle, de
l'identité des propriétaires, de la nature des parcelles
et de leur situation (en plaine, en montagne, en pente douce ou
rude...), avec Pe Te (paye taille) et Pnt (présent).
Présent, indiquant que la parcelle a été
cadastrée dans la forme contradictoire, en la présence du
propriétaire.
LE LIVRE D'ESTIME
Plus complet que le précédent, et établi sur les
déclarations des estimateurs, ce livre reprend la
désignation des parcelles par numéros suivis en les
affectant d'un degré de "bonté" (chiffré de 0
à 3 dans l'ordre croissant de la valeur), et en estimant, pour
chaque type de production, le rendement annuel en
céréales, fourrages, bois d'oeuvre ou de chauffage. Le
notaire était chargé de rédiger les
procès-verbaux concernant la nomination des estimateurs et des
indicateurs, la désignation des confins et tous les actes
à conserver sous forme authentique.
LE LIVRE DE CALCULATION
Expédiées à Chambéry avec la mappe
originale, ces informations sont recopiées sur deux mappes-copie
légendées et coloriées au lavis (J.-J. Rousseau y
a travaillé deux ans lors de son séjour à
Chambéry chez Mme de Warrens). Un exemplaire est destiné
à la paroisse, un autre aux Archives de Cour à Turin.
Dès réception, par l'intendant du cadastre au
siège de l'administration du Duché, des plans de la
commune accompagné des livres de géométrie et
d'estime correspondants, les calculateurs, travaillant à l'aide
de la mappe, évaluent la surface de chaque parcelle et de
calculer également, compte tenu des renseignements fournis par
les livres susvisés, sa valeur et son revenu.
TABELLE ALPHABETIQUE
Après le travail sur le terrain, les calculateurs avaient le
double soin, toujours à l'aide de la mappe, de vérifier
la superficie de chaque parcelle et de déterminer leur valeur et
leur revenu en prenant pour base le livre d'estime. Une tabelle
préparatoire est affichée avec une copie de la mappe dans
chaque communauté. Les griefs ou protestations sont
consignés dans le cottet à griefs. Après
étude et satisfaction il est enfin procédé
à la rédaction de la tabelle,
répertoire alphabétique des propriétaires par
opposition au livre des numéros suivis (ordre des
numéros).
La tabelle nous donne les renseignements
suivants sur une double page :
- Le nom du propriétaire.
- Le numéro de la parcelle.
- Sa nature : champ, pré, verger, bois
divers, broussailles, terrain inculte, vigne, jardin, maison, masure,
grange et surtout châtaigneraie.
- Le nom du mas.
- Le degré de bonté indiqué
par 4 chiffres : 0, 1, 2, 3.
- La superficie en mesure du Pièmont :
journal et toise carrée.
- La superficie en mesure de Savoie : idem.
- Et d'autres renseignements pour établir
l'impôt, la taille.
- L'exemption ou nom de l'imposition.
Voici quelques notions indispensables pour établir la
concordance des mesures de Savoie avec le système
métrique.
La grande unité de surface est le journal valant 500 toises
carrées en Chablais.
La toise carrée vaut 7,37 m² et le journal vaut 3685
m².
Le journal représentait la surface
fauchée par un homme en une journée.
La valeur de chaque terrain était bien
quantifiée en fonction de sa nature, ainsi la valeur de la vigne
était évaluée en seytiers de vin, les broussailles
en fascines, le bois perchette par douzains, le bois noir et le sapin
par pièces, les châtaigniers, le seigle et le froment en
quintal.Il y avait une différence entre le foin des marais et le
foin des champs et des prés ou foin de boeuf !
L'édit de péréquation qui
rend exécutoire les travaux de la mappe précise le mode
de paiement de la taille.
En 1738 sur la commune de Lugrin, la
communauté de Thollon, sans problème ni procès,
était alors propriétaire d'environ 20 journaux. A la
lecture de ces documents on a pu constater que les paroisses de Thollon
et de Lugrin possédaient en indivis 5 parcelles au mas des
Mémises. Parcelles sur la commune de Thollon qui seront en
litige en 1858 :
Commune de Thollon |
891 1/2 |
Blanchard |
rocher |
non précisé |
892 |
Blanchard |
broussailles |
258J. 333,1 |
894 |
Blanchard |
grange |
13,7 |
895 |
Blanchard |
pâturage |
17J. 244,4 |
Vittoz André |
2820 |
Mémises |
chalet |
7,2 |
Grand-Saint-Bernard |
2823 |
Mémises |
chalet |
non précisé |
Commune de Lugrin |
2824 |
Mémises |
chalet |
23,3 |
Indivis Lugrin Thollon |
2825 |
Mémises |
broussailles |
91J. 374,2 |
2826 |
Mémises |
rocher |
14J. 071,1 |
2827 |
Mémises |
pâturage |
1252J. 210,4 |
CONCLUSION
La conservation du cadastre sera assurée par deux organismes :
le conseil des habitants et le secrétaire de la
communauté représentant le pouvoir central.
Le secrétaire devra assurer la tenue de deux registres :
- le premier appelé "journalier" indiquant
"jour par jour" les mutations de propriété,
- le second registre communal, appelé
"livre de transport", comportant les noms de tous les
propriétaires par ordre alphabétique.
Il convient de noter cependant, que la conservation se faisait
uniquement par les registres cadastraux et ne concernait point la mappe
qui demeurait immuable.
Le cadastre allait servir non seulement à
fournir la mesure et marquer les limites de la propriété
foncière, mais encore à prouver le cas
échéant, un droit de propriété
contesté, par le moyen des renseignements qu'il donnait sur
l'état juridique de chaque parcelle. En effet, la mappe avait
été dressée en présence des
propriétaires au contraire des cadastres d'aujourd'hui.
La France a toujours
envié cette réalisation
Instrument de gouvernement, le cadastre est
cependant un outil des plus fragile. Très vite le cadastre sarde
se heurta à la difficulté de suivre les mutations
foncières.Incapable de suivre les mutations, le cadastre n’en
restait pas moins, grâce à la mappe, une vue
géographique très précise des parcelles et des
confins communaux.
La confection du cadastre avait par ailleurs
entraîné de grands travaux de bornage. Si les bornes
sardes, choisies sur le terrain ou posées de manière
artisanale, n’ont rien à voir avec les bornes impériales
françaises, le symbole était important dans les
communautés montagnardes quand la richesse dépendait de
l’étendue des pâturages.
La mappe elle-même resta jusqu’en 1852 le
seul instrument de référence pour les limites des
parcelles. Les tabelles restées à Chambéry
servirent pour préparer les ventes de biens nationaux. Dans
certains contentieux actuels, il peut se produire que la mappe soit
utilisée pour prouver la permanence et l’ancienneté d’une
limite.